MARIE DANS LA FOI DE L’ EGLISE – DES ORIGINES JUSQU’A AUJOURD’HUI

 

peuple

Pour un croyant catholique, la dévotion à Marie est habituellement une chose qui va de soi. Parfois même, un peu trop ! Au contraire, chez un croyant réformé, on rencontre souvent un refus assez net sur ce point.

Pourtant Marie a sa place dans la Bible, dans le Nouveau Testament, et les Réformés connaissent ces textes au moins aussi bien  que nous. Comment expliquer alors leur attitude ?

C. PERROT a publié, l’année passée (2013),  un livre  sous le titre : Marie de Nazareth au regard des chrétiens du premier siècle. Dans cet ouvrage, il étudie avec précision la place que les textes du Nouveau Testament donnent à Marie, soulignant à la fois la grande discrétion des auteurs du Nouveau Testament et, en même temps,  l’importance de ce que ces textes expriment au sujet de Marie,  de la place que ces premiers témoignages de la foi chrétienne donnent à la mère de Jésus.

Que savons-nous sur Marie ? Maria/Mariam/Myriam est un nom fréquent ; on le retrouve souvent sur des ossuaires de l’époque, selon C. Perrot, qui ajoute : « une fille étant accordée en mariage après ses douze ou treize ans selon la coutume, elle (Marie) serait née dans les années  20  à 18 avant notre ère » (op. cit. p.31).. Lors de la mort de Jésus (en 30),  elle serait donc dans la cinquantaine. Quand est-elle morte et où ?  Deux traditions existent au sujet du lieu : Jérusalem, où son tombeau est encore vénéré dans la vallée du Cédron et Ephèse, où elle aurait suivi le disciple bien-aimé. (sur ces questions, cf. op. cit. p. 32-33). C’est peu de chose, mais cela place bien Marie parmi les gens simples de son temps.

Dans un premier temps, je voudrais d’abord, en m’inspirant de C. Perrot,  résumer, ce que les textes du Nouveau Testament nous disent de Marie (I).  Ensuite je rappellerai très rapidement le développement de la dévotion mariale, telle qu’on peut la suivre, dans les écrits apocryphes, les Pères de l’Eglise, puis dans l’histoire de l’Eglise jusqu’au dernier concile (Vatican II). Je terminerai en rappelant brièvement la position du Concile Vatican et sa mise en application dans des textes pontificaux qui ont suivi. (III)

I . Marie dans les textes du Nouveau Testament

Quand nous lisons le Nouveau Testament, nous ne remarquons pas toujours la grande discrétion des auteurs au sujet de Marie, tant nous sommes habitués à donner sa place à la mère de Jésus. Pourtant, pour ne prendre qu’un exemple, si nous n’avions que la tradition johannique (Jn ;  1-2-3 Jn et Ap), nous ne connaitrions même pas son nom.

1)      Dans les Lettres de Paul

Mais ouvrons un Nouveau Testament et commençons par les textes les plus anciens qui nous sont parvenus. C’est bien sûr, les Lettres authentiques de de Paul qu’il nous faut questionner. Chez lui, nous ne lisons pas le nom de Marie. La seule référence à la mère de Jésus se trouve dans la Lettre aux Galates, envoyée depuis Ephèse vers 55-56. Paul écrit : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. » (Ga 4, 4-5)

Dans ce passage, Paul ne veut pas parler directement de Marie : « la pointe du texte ne porte pas sur la virginité de Marie mais sur l’insertion du Fils de Dieu dans l’histoire humaine de par sa mère » (op. cit. p.138). On peut ajouter que, dans le contexte où Paul écrit, il aurait été difficile de donner à Marie le titre de  « Mère de Dieu » sans risquer de la présenter comme une déesse-mère comparable à Artémis, dont le culte faisait la prospérité d’Éphèse.

2)      Dans les Évangiles synoptiques

Si nous passons aux Évangiles, nous remarquons d’abord que la première annonce évangélique concerne uniquement le ministère public de Jésus, depuis le baptême de Jésus par Jean-Baptiste jusqu’à sa mort et sa Résurrection : ainsi dans le premier des Evangiles, celui de Marc (cf. aussi la prédication de Pierre chez le centurion Corneille, en Ac 10, 37-42).

Dans le récit de Marc, la place donnée à Marie est bien mince. En Mc 3, 20-21  quand Jésus revient  « à la maison  (…),  les siens, l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient : il a perdu le sens. » Toujours en Marc, quelques versets plus loin, alors que quelqu’un dit à Jésus : « Voilà que ta mère et tes frères et tes sœurs sont dehors qui te cherchent », l’Évangéliste écrit : : «  Et promenant son regard sur ceux qui étaient assis autour de lui, il (Jésus)  dit : voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère, une sœur, une mère. » (Mc 3, 33-35).

Et ce n’est qu’en Mc 6, 3 que l’on trouve pour la première – et  la seule – fois en Mc  le nom  de la mère de Jésus; elle est placée dans la bouche des gens de Nazareth : « Celui-ci n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon ?… »

Les Évangélistes Matthieu et Luc accorderont une place plus large à Marie dans leurs « récits de l’enfance » dont je parlerai plus bas. Mais quand ils rapportent le ministère de Jésus, ils observent la même sobriété que Marc,  sans toutefois reprendre la réflexion de Mc 3, 20-21.

Matthieu conserve le passage sur la vraie parenté de Jésus sans modification en ce qui concerne Marie (Mt 12, 46-50), et comme Marc, il cite le nom de Marie à l’occasion de la visite à Nazareth : « Celui-ci n’est-il pas le fils du charpentier ? N’a-t-il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ? » (Mt 13, 35)

En Luc, nous retrouvons  le passage sur la vraie parenté, mais dans la réponse, Jésus insiste sur l’écoute et la pratique de la Parole de Dieu : « ma mère et mes frères, ce sont qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Lc 8, 21) Par contre, dans l’épisode de Nazareth, Luc  ne donne pas le nom de Marie, mais il  écrit : « ils  (les gens de Nazareth) disaient : N’est-il pas le fils de Joseph, celui-là ? » (Lc 4, 22 ; cf. Jn 6, 42).

Luc mentionnera encore une fois le nom de Marie au début des Actes des Apôtres : « Tous d’un seul cœur étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, mère de Jésus et avec ses frères. » (Ac1, 14)

Comme on le voit, les Évangélistes citent rarement Marie. Cette absence frappe d’autant plus qu’ils mentionnent plusieurs fois d’autres femmes par leur nom : Marie, mère de Jacques, Marie de Magdala, Jeanne, Suzanne, Salomé …

3)      Les récits de l’enfance

La situation change, bien évidemment, dans les deux  premiers chapitres de Matthieu et de Luc, consacrés à l’enfance de Jésus.

En Mt 1-2, l’Évangéliste cite le nom de Marie au terme de la généalogie : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle est né Jésus que l’on appelle le Christ. » (Mt 1, 16). On retrouve ce même nom, par deux fois, dans le récit de l’annonce à Joseph (1, 18. 20), et encore dans l’épisode des Mages (2, 11). Lors du départ pour l’Égypte et au retour, Matthieu fait encore  quatre fois référence à Marie en écrivant : « prends avec toi  / il prit avec lui l’enfant et sa mère. (Mt 2,13-14 et 20-21)

Matthieu nous donne plusieurs précisions concernant Marie : elle est légalement mariée à Joseph, mais ils ne cohabitent pas encore (Mt 1, 18-19 ; cf. aussi v. 20 : ta femme).  Le récit de  Matthieu précise aussi la vocation de Marie : « ce qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus… » (Mt 1, 20-21), ainsi que la place de cette naissance dans le dessein de Dieu, accomplissement de la parole dite autrefois par Isaïe (cf. Mt 1, 22). Mais le récit de Matthieu met surtout en lumière le rôle de Joseph, « fils de David » par qui Jésus est inséré dans la lignée messianique.

Le récit que Luc consacre à l’enfance de Jésus,  nous présente le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance et il s’intéresse davantage à Marie. Luc met en parallèle Jean-Baptiste et Jésus ; son récit commence par le dytique des annonces de naissance. Celle de Jean-Baptiste (Lc 1, 5ss) est adressée à un homme, à un prêtre ; elle se déroule à Jérusalem, dans le Temple et en pleine action liturgique. L’annonce de la naissance de Jésus (Lc 1, 26ss) est placée dans un cadre tout simple : à Nazareth, en Galilée ; elle est adressée à une jeune femme mariée légalement. Dans les deux cas, le messager céleste est Gabriel, l’annonciateur du temps du salut, selon  le livre de Daniel (cf. TOB note sur Lc 1, 18)

Dans la première annonce, Luc souligne la parfaite fidélité des parents à la Loi de Dieu (v. 6) et l’exaucement de leur prière (v. 13). Rien de tel pour Marie, mais le nom que l’ange lui donne dit tout : elle est « la favorisée de Dieu »  (v. 28 et note TOB).

Dans le dialogue avec Gabriel, alors que la question de Zacharie exprimait un doute (v. 18), celle de Marie (v. 34 et note TOB) va permettre à l’ange de révéler toute  l’identité de l’enfant à naitre : « cette double annonce porte sur Jésus, désigné à la fois comme le fils de David et le Fils de Dieu (v. 31-33 et 35-36). » (op. cit.  p. 214)

Cependant le récit de Lc 1, 26-38 n’est pas centré sur Marie, mais sur l’enfant à naitre : le vrai titre de cette péricope n’est pas « L’annonce à Marie », mais « L’annonce de la naissance de Jésus ». Cependant ce qui est dit de l’enfant à naitre rejaillit sur la mère : à travers sa présentation,  Luc nous permet de découvrir la figure de Marie pour les chrétiens auxquels il s’adresse dans les années 80. L’Évangéliste utilise un genre littéraire bien connu dans la Bible, et pourtant comme le note C. Perrot : « dans les récits bibliques de l’annonce d’un enfant, et dans les anciens apocryphes juifs,  nulle part n’est soulignée avec autant de force l’importance ici accordée à la réception d’un message divin. Dieu n’a pas besoin qu’on lui réponde. Or Marie lui répond. De par la grâce dont Dieu l’a comblée, elle participe éminemment à l’accomplissement d’un dessein transcendant. Elle donne chair à la parole révélée par Isaïe 7, 14 et à cet enfant, elle attribue un nom – au sens sémitique d’une nomination qui façonne un être.» (op. cit. p. 212)

La scène qui suit (Lc 1, 39ss)  – la rencontre des deux mères – permet  à l’Évangéliste de souligner la disponibilité de Marie : la « servante du Seigneur » (cf. v. 38) sait aussi se faire la servante de sa cousine Élisabeth, qui la proclamera « bénie entre les femmes » (v. 42) et bienheureuse parce « qu’ella  cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (v. 45).

Du récit de la naissance, on peut retenir deux éléments : avec sobriété, Luc raconte la naissance de Jésus et la réalité de l’Incarnation : ce nouveau-né emmailloté de langues et couché dans une crèche (Lc 2, 7. 12. 16) ; ensuite, l’attitude de Marie « qui conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son cœur » (2, 19). Je cite encore C. Perrot : « Marie est ainsi désignée comme la première exégète de ces événements. C’est là offrir une image de la Vierge singulièrement différente de celle présentée par Matthieu, tant le milieu de ce dernier  aurait plutôt tendance à glorifier la mère du Messie (…) comme une Vierge en majesté, sans trop insister sur sa féminité. Luc s’intéresse à celle qui vaque aux soins quotidiens, tout en s’interrogeant silencieusement en l’intime d’elle-même. » (op. cit. 258)

Il reste à dire un mot sur la prophétie de Syméon (2, 33-35) et sur le dernier épisode : Jésus au Temple (2, 4-52).

Syméon parle d’abord de Jésus : « cet enfant doit mener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction » (v. 34), mais ici encore, ce qui est dit de l’enfant rejaillit sur la mère : « et toi-même, une épée te transpercera l’âme » (v. 35) : « Marie, liée à Israël en donnant naissance à Jésus, sera la première à éprouver la déchirante épreuve qui va traverser son peuple. » (op. cit. .p. 265)

Dans l’épisode de Jésus au Temple, ce que Luc met surtout en lumière, après la recherche angoissée des parents, c’est la parole que Jésus leur adresse : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas… ? » Une parole « qu’ils ne comprirent pas » mais que, nous dit l’Évangéliste,  « Marie conservait toutes ses choses dans son cœur » (2, 49-51).

Comme on le voit, parmi les Évangélistes, Luc est celui qui donne le plus de place à Marie. Pourtant quand on replace son récit de l’enfance – et aussi celui de Matthieu –  dans leurs contextes, on est frappé par leur sobriété. Les deux Évangélistes proclament la naissance virginale de Jésus, mais pour eux, cette naissance n’arrache pas le Fils de Dieu à la condition humaine, comme le faisaient les récits juifs de Moïse ou ceux de Noé et Melchisédech en multipliant les traits merveilleux. (cf. quelques exemples dans op. cit. p. 288-289)

Pour Matthieu et Luc, Jésus est bien le Fils de Dieu, mais il est aussi des nôtres : la première affirmation vient de la foi pascale, que la tradition évangélique fait remonter par étapes  à la Transfiguration et au Baptême ; pour la seconde, le rôle de Marie, sa vocation, vient éclairer les croyants qui se posent la question : comment Celui que l’événement pascal a révélé peut-il appartenir à notre humanité ? Comme l’écrit C. Perrot : « Marie joue un rôle unique dans cette immersion corporelle du Fils de Dieu, et l’insistance sur la conception virginale  en déclare l’extrême portée. Il est bien né de cette femme, une vierge, » (op. cit. p. 293)

4)      Dans le Quatrième Évangile

Comme je l’ai déjà dit : si nous n’avions que l’Évangile de Jean, nous ne connaitrions même pas le nom de la mère de Jésus. Et pourtant cet Évangile est le seul qui nous rapporte  deux scènes importantes dans lesquelles intervient  la «mère de Jésus ». La première, à Cana,  marque l’inauguration du ministère de Jésus ; la seconde, au Calvaire,  son plein accomplissement.

Le récit de Cana est avant tout christologique ; comme le souligne Jean, c’est là que Jésus fait le premier, « le commencement des signes » (2, 11 et note TOB) et laisse déjà transparaitre  pour les disciples quelque chose de sa « gloire ».

L’Évangéliste place ici deux paroles de Marie (les seules du NT, en dehors du récit lucanien de l’enfance) : la première est adressée à Jésus ; la seconde aux serviteurs. La première manifeste l’empathie de Marie pour ces pauvres gens  « dont la fête va être gâchée. Sans vin, il n’y a plus de noces et les mariés seront déconsidérés ». Une demande à la manière johannique (cf. Jn 11, 3), laissant à Jésus le soin d’en juger. (cf. op. cit. p 332). Après la réponse de Jésus, la seconde parole est adressée aux serviteurs : « Quoiqu’il vous dise, faites-le. » (2,5)  « Marie ne joue pas les intermédiaires entre Jésus et les serveurs, elle incite seulement ces derniers à faire ce que Jésus va leur dire : «  Faites-le » (…) Elle ne coopère pas directement au geste de Cana, inaugurant le salut nouveau, mais elle dispose Jésus à le poser et elle dispose les serveurs à le recevoir. » (op. cit. p. 335)

Comme les Synoptiques, Jean nous parle des femmes au Calvaire à l’heure où Jésus meurt. Mais Jean seul nomme ici « la mère de Jésus ». Avec d’autres femmes et avec le disciple bien-aimé, elle est au pied de la croix. Celle qui était présente au commencement des « signes » de Jésus est aussi là, au moment où la révélation atteint son sommet : « tout est accompli » (Jn 19, 28 et 30). Marie est ici silencieuse, mais elle reçoit, avec le disciple bien-aimé, les dernières paroles de Jésus. J. ZUMSTEIN  parle d’une scène centrée sur Marie et sur le disciple bien-aimé : « Au moment de mourir, Jésus rassemble sa nouvelle famille qui doit subsister après la séparation. L’Église nait au pied de la croix et elle se structure par le témoignage du disciple bien-aimé. » (dans Nouveau Testament Commenté, p. 500).

Ce parcours sur le Nouveau Testament nous montre la sobriété et la variété des témoignages sur Marie, selon des groupes qui en parlent et à mesure que le temps se déroule.

Le message de Paul, le premier témoin, est encore tout centré sur le mystère pascal, mais ce qu’il écrit en Ga 4, 4 souligne bien la réalité humaine de Celui qui est au cœur de ce mystère : « né d’une femme, né sous la Loi ».

Dans les textes qui parlent du ministère de Jésus, nous découvrons comment l’identité de Jésus se précise à partir de Pâques, en remontant à la Transfiguration, puis à la parole du Père lors du baptême de Jésus par Jean-Baptiste. La place donnée à Marie est relativement mince : elle est mentionnée dans le cadre de la famille de Jésus.  En  Mc 6, 3, Jésus est « le fils de Marie »

Les passages consacrés à l’enfance de Jésus par Matthieu et Luc vont enrichir cette présentation. Dans l’église de Matthieu, une communauté juive ouverte, l’accent est mis sur l’accomplissement de l’espérance messianique. Pour cela, le rôle de Joseph est déterminant,  mais l’enfant auquel Joseph donne le nom est né virginalement de Marie, réalisant ainsi pleinement l’annonce du prophète Isaïe (Is 7, 14  – LXX).

En Lc 1-2, l’auteur met l’accent sur Marie. L’ange la salue comme la « fille de Sion » qui accueille le Seigneur (cf. So 3, 14) ; il lui donne un nom : « comblée de grâces » (cf. Lc 1, 28 et note TOB) ; elle-même se présente comme « la servante du Seigneur » (1, 38 et note TOB) ; Élisabeth la déclare « la plus bénie des femmes » et « heureuse celle qui a cru »  (1, 42 et 45). Et surtout les paroles concernant l’enfant à naitre qui rejaillissent sur la mère: Lc 1, 32-33 et 35 : cet enfant à naitre, son enfant, est le fils d David et le Fils de Dieu. La première partie de l’annonce de l’ange est de type messianique (comparer avec 2 S 7), alors que la seconde nous renvoie directement à la confession de foi chrétienne (cf. Rm 1, 3-4). Pourtant dans le milieu où écrit l’Évangéliste, l’appellation de « mère de Dieu » pourrait encore être mal comprise.

Enfin dans le milieu johannique, après la célèbre phrase : « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14), l’auteur écrit 9 fois : sa / la mère / la mère de Jésus et il lui donne une place significative au début et terme de la mission de Jésus. On pourrait ajouter encore, dans ce milieu johannique,  la Femme dont parle  Ap 12 (sur  ce point, voir P. GRELOT, art. Marie dans l’Ecriture,  dans DSp X, 420-421).

II. Entre le Nouveau Testament et le concile de Vatican II

 

Comme on le voit, « le Nouveau Testament offre en fait une série d’images de la mère de Jésus, des images adaptées aux lieux communautaires qui les supportent et gravées dans le langage de chacun »  (C. PERROT (op. cit. p.. 362) Il n’est donc pas surprenant que l’on retrouve cette diversité  dans les périodes qui vont suivre. C’est ce qui apparait dans les textes apocryphes, mais également chez les théologiens qui essaient de préciser le message chrétien, ainsi que dans le culte qui prend forme au cours des années.

Il ne peut être question ici que d’un rapide survol des deux millénaires mentionnés dans le titre.  Je parlerai un peu des apocryphes, puis des premiers textes patristiques et conciliaires, et enfin de quelques jalons de la dévotion mariale jusqu’à Vatican II.

1)      Marie dans les apocryphes

Apocryphe, selon l’étymologie, signifie caché, secret. Ce terme désigne  habituellement des écrits utilisés par de petits groupes de croyants, en dehors de la grande Église, qui les regardaient comme inspirés (cf. E. COTHENET, Marie dans les apocryphes, dans Maria VI, p. 73ss). Comparés aux textes bibliques, les apocryphes frappent surtout par leur prolixité et par les multiples et diverses formes de leur transmission manuscrite : «  là où l’Église n’a pas veillé, l’imagination s’est donné  libre cours » écrit le même auteur (p. 74)

Pour notre sujet, les plus intéressant sont les apocryphes judéo-chrétiens  sur l’enfance de Marie et ceux, un peu  plus tardifs, sur le Transitus, la fin de sa vie.

De loin, le plus célèbre parmi les premiers est celui que l’on appelle improprement (depuis sa publication en Occident par Guillaume Postel, en 1552) le Protévangile de Jacques, et tout particulièrement sa première partie (I-XVII), intitulée la Nativité de Marie. Cet écrit veut remonter plus haut que les textes de Mt 1-2 et Lc 1-2, comblant les silences et résolvant certaines difficultés des textes évangéliques.  C’est dans cet écrit que nous  découvrons les noms des parents de Marie, Anne et Joachim ainsi que  le récit de l’enfance de Marie, une enfance  passée dans le Temple, avant d’être confiée à Joseph. L’auteur de ce texte s’inspire des récits haggadiques sur la naissance et l’enfance de Samuel (cf. 1 S 1-2) et sur d’autres modèles bibliques de naissances miraculeuses. Il veut ainsi répondre aux objections et aux calomnies concernant Marie et Jésus (Marie, une fille de la campagne, une pauvre fileuse, séduite par un soldat romain) qui avaient cours parmi les Juifs, comme en témoigne Le Discours véritable de Celse vers 178, que nous connaissons par la réfutation d’Origène dans son Contre Celse

Dans une présentation récente (1997) du Protévangile de Jacques,  A. FREY  écrit dans son introduction : « Le Protévangile rejette toutes ces affirmations : Marie est née de parents riches, cultivés, citadins et de lignée royale, davidique. Experte dans l’art du tissage, elle participe à la tâche honorifique de la confection du voile du Temple et se sert des matériaux les plus nobles. Joseph est certes charpentier, mais il dirige des chantiers importants. Marie n’est pas une femme adultère ; son innocence est attestée à Joseph par l’apparition de l’ange, et au grand prêtre ainsi qu’au peuple, par l’épreuve de l’eau. Marie est vierge avant, pendant et après l’accouchement. Dès avant sa naissance, elle est une enfant du miracle, mise à part et bénie. Pendant son enfance, elle garde une pureté absolue, elle vit un état paradisiaque dans un sanctuaire, chez ses parents d’abord, au Temple ensuite.

« Lorsqu’elle met au monde Jésus, Marie reste vierge. Le Protévangile se montre très discret : une ombre lumineuse couvre la grotte. Cependant le Christ (…) est vraiment homme ; la grossesse de Marie est bien réelle, constatée par Joseph et les prêtres ; l’accouchement se passe sans douleurs et sans assistance d’une sage-femme, en accord avec la prophétie d’Isaïe ; et la première chose que fait le nouveau-né, c’est de téter le sein de sa mère.

« Après la naissance de Jésus, Marie n’a pas eu d’autres enfants. D’après le Protévangile Joseph était un vieillard, un veuf, qui avait déjà des enfants d’un premier mariage lorsqu’il  prit Marie sous sa garde. Deux de ses fils l’accompagnaient d’ailleurs dans son voyage à Bethléem. Cette explication des frères et des sœurs de Jésus dans les Evangiles canoniques connaitra une grande fortune dans la théologie mariale. » (A. FREY, Le Protévangile de Jacques dans Les Écrits apocryphes chrétiens I, sous la direction de F. BOVON et P. GEOLTRAIN, p. 76-77)

Le Protévangile de Jacques n’a certes pas la sobriété des Évangiles, mais il est pour nous un témoin de la foi des premières communautés chrétiennes au 2ème  siècle, concernant la naissance virginale de Jésus et la  place qu’elles donnaient à Marie. Comme les écrits midrashiques juifs, ce texte veut aider les lecteurs dans leur compréhension des Écritures et fortifier leur foi. Il aura une influence immense sur l’iconographie, mais également sur la liturgie (les fêtes de s. Anne et Joachim,  la Présentation de Marie au Temple …) et ce, jusqu’à aujourd’hui.

Les textes appelés Transitus Mariae s’intéressent à la fin de la vie de Marie. On connait plus de 60 écrits antérieurs au 8ème siècle dans 8 langues différentes (syriaque, grecque, copte, arabe, éthiopienne, latine, géorgienne et arménienne). C’est donc un ensemble important mais que l’on ne peut guère faire remonter plus haut que le 4ème siècle. Ces documents ont eu une grande influence dans l’histoire de la piété, de la théologie (Assomption) et de l’iconographie. Cf. Simon MIMOUNI, art. Transitus Mariae, dans DSp XV. 1160-1174)

Ces écrits témoignent de croyances diverses sur le sort final de Marie : « la dormition seulement avec ascension de l’âme et préservation du corps en un lieu connu ou inconnu ; la dormition suivie de l’assomption ; l’assomption seulement avec ou sans résurrection explicitement indiquée. » (art. cit. 1170)

Cependant du point de vue doctrinal « ces apocryphes sont beaucoup plus riches qu’on ne le dit d’ordinaire. Ils nous manifestent comment, sous l’influence de l’Esprit-Saint, l’Église a progressivement pris conscience de la totale glorification de Marie. La tradition historique ne pouvait porter que sur le fait de la mort, mais dès l’âge apostolique on eut le sentiment que cette mort n’avait pu être toute semblable aux autres, que Marie devait jouir d’une gloire unique en son genre. Quand la réflexion se porta explicitement sur le problème, elle découvrit que Marie échappa à la redoutable enquête de Satan et que « son corps précieux ne pouvait avoir connu la corruption », écrit E. COTHENET dans son étude Marie dans les apocryphes, en Maria VI, p. 146.

2)      Chez les premiers Pères de l’Église

Je résume ici très brièvement l’article de D. FERNANDEZ, La spiritualité mariale chez es Pères de l’Église, dans DSp. X, 423-440.

Le premier auteur non canonique à mentionner Marie est Ignace d’Antioche (+ vers 110). Dans sa Lettre aux Éphésiens, il écrit : « Notre Seigneur Jésus Christ a été porté dans le sein de Marie selon l’économie divine » et, un peu plus loin : « Au prince de ce siècle sont restés cachés la virginité de Marie et son enfantement, de même que la mort du Seigneur ; trois mystères retentissants qui furent accomplis dans le silence de Dieu. » (aux Éphésiens 18, 2 et 19, 1). Ignace veut affirmer avec force la réalité de l’Incarnation ; c’est ce qui l’amène à mettre ainsi en relief la personne de Marie : Jésus est né «  de Marie et de Dieu » (aux Éphésiens, 7, 2 ; cf. aux Tralliens, 9 ; aux Smyrniotes, 1, 1).

Un peu plus tard, Justin (+ vers 165) dans son Dialogue avec Tryphon, appelle Marie « la Vierge » (Dialogue 87, 2) et il est aussi le premier à établir le parallélisme Eve – Marie : « Eve, encore vierge, conçut la parole du serpent et enfanta  désobéissance et mort ; Marie, par contre, ayant conçu foi et joie, répondit à l’ange : « Qu’il me soit fait selon ta parole. » (Dialogue 100, 4-6). D. FERNANDÈS commente : « Justin note le contraste entre le comportement d’Eve et celui de Marie, mais son parallélisme s’arrête là, car il ne veut pas attribuer  à Marie le salut. (…) Une réflexion sur l’influence de Marie dans l’ordre du salut fait encore défaut, mais l’élan est donné ». (art.cit. 424)

Vers la fin du 2ème  siècle, Irénée de Lyon (+ vers 202) pose un jalon important dans la théologie et la spiritualité mariales. Selon Irénée, Dieu veut rétablir par le Christ le plan primitif du salut, détruit par le péché d’Adam. En s’incarnant, le Fils de Dieu « a récapitulé en lui-même la longue série des hommes et nous  a procuré le salut « en raccourci » dans sa chair, en sorte que ce que nous avions perdu en Adam, (être  à l’image et à la ressemblance de Dieu), nous le retrouvions dans le Christ Jésus. » (Adversus haereses, III, 18, 1) Pour cela, il développe le parallélisme  Eve-Marie : alors qu’Eve fut à l’origine de la ruine du genre humain, Marie, par son obéissance, a été cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain (Cf. art. cit. 424)

Il faudrait citer encore Clément d’Alexandrie (+ vers 214) et surtout Origène (+ en 253) pour qui, la maternité de Marie est un exemple pour tout chrétien : « Ce n’est pas seulement en Marie, c’est en toi également que doit naitre le Verbe de Dieu. » (cf. art. cit. 425). Et dans son commentaire sur l’Évangile de Jean, Origène affirme que seul celui qui a reçu Marie pour mère, comme le disciple bien-aimé, peut saisir le sens spirituel de cet écrit. (In Joannem 1, 4).

Ainsi à partir du 4ème siècle, on trouve des panégyriques qui exaltent la maternité divine de Marie et son rôle dans l’économie du salut. Le titre de Théotokos devient courant  dans la deuxième moitié du 4ème siècle. De même c’est à cette période que l’on peut faire remonter la première invocation connue à Marie : le Sub tuum praesidium… (Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions Sainte Mère de Dieu…)

L’influence de Marie dans la spiritualité chrétienne va prendre encore davantage de place à la suite de l’Édit de Milan (313) et de la fin des persécutions. Comme écrit D. FERNANDEZ : « La vie ascétique et le renoncement au monde présent prirent dès lors la place du martyre. » (art. cit. 428) Cette spiritualité se développe surtout en Égypte, paradis de la vie monastique.  L’admiration et l’exaltation de Marie sont chantés par Ephrem (+ 373) : Marie est appelée « sœur, épouse et servante du Christ » ; par elle, nous sont rendus tous les biens du Paradis (cf. art. cit. 429).

Grégoire de Nysse (+392) s’émerveille que la « Vierge est mère et demeure vierge … la virginité n’empêche pas l’enfantement et l’enfantement ne détruit pas la virginité.(id. 430)

Chez les Pères latins, c’est  surtout  avec Jérôme (+ 419), Ambroise  (+ 397) et Augustin (+ 430)  que la doctrine mariale va se développer. Jérôme s’en prend avec violence à Helvidius et Jovinien qui, voulant réagir contre la doctrine ascétique des moines qui exaltaient la virginité au détriment du mariage, affirmaient que « Marie après la naissance de Jésus, eut avec Joseph des relations normales entre époux. » (id. 432). De même, dans une lettre  synodale, Ambroise condamne Jovinien et insiste, en particulier, sur la virginité in partu,  Comme l’écrit D. FERNANDEZ : : « Pour Ambroise, Marie est la femme parfaite, la mère virginale du Christ qui n’a point connu le péché, la règle et le modèle des vierges, le type de l’Église préfigurée dans d’innombrables textes de l’Ancien Testament. (…) La grandeur de Marie nous conduit à l’honorer et à la vénérer, sans pouvoir néanmoins l’adorer : « elle est le temple de Dieu et non pas le Dieu du temple. » (art. cit. 433)

3)      Le Concile d’ Éphèse

Le Concile d’Éphèse (431) marque une date importante dans l’histoire du culte marial. Le problème abordé dans ce concile était un problème christologique, sur la ou les nature(s) du Christ. « Nestorius distribuait les propriétés ou attributs du Christ entre le Fils de Dieu et le fils de Marie. Il avait appris de son maitre, Théodore de Mopsueste, que « Marie a enfanté Jésus, mais non point le Logos » ; il refusait donc le titre de Theotokos ; Marie devrait être appelée Christotokos.

Au contraire, Cyrille de Constantinople défendait l’unité de la personne du Christ : « Jésus est le Fils de Dieu fait homme. »  Pour lui, la filiation tombe sur la personne et non sur l’humanité ou la divinité de Jésus ; dès lors on peut appeler Jésus « Fils de Dieu » par nature et donc, on peut donner à Marie le titre de « Mère de Dieu ». (cf. art. cit. 435-436).

Dans les siècles qui suivirent, le Concile d’Éphèse aura un grand retentissement sur la dévotion populaire, mais également dans la liturgie, les homélies, les dédicaces d’églises à Marie. S’il arrive que  certains, comme Germain de Constantinople (+ 733),  manquent parfois de mesure, d’autres comme Jean Damascène (+749) nous donnent un bon exemple de la théologie byzantine : « tous les dons et les grâces de Marie proviennent de ce fait singulier qu’elle a engendré Dieu ». Et pour Jean Damascène, « la doctrine de la médiation se trouve toujours en relation au Christ : du fait qu’elle nous a donné le Christ, elle nous a obtenu tous les biens. » (art. cit. 437)

Il faudrait citer bien d’autres auteurs, en Orient et en Occident, qui tenteront d’exprimer la foi catholique par rapport à Marie (cf. par ex. art. cit. 437-439), mais il nous faut passer à l’étape suivante.

4)      Du Moyen-Age aux temps modernes

Il ne peut être question pour moi de présenter l’histoire du développement du culte marial à travers tous ces siècles, tant la documentation des différentes tendances est ici abondante. Je me contenterai de rappeler quelques faits qui peuvent nous aider à mieux situer ces développements.

Quelques faits historiques d’abord qui ont marqués ces siècles et qui auront des incidences, plus ou moins directes, sur la théologie mariale :

–          La naissance de l’Islam au 7ème siècle et son implantation dans le Proche-Orient durant les siècles qui suivent.

–          Le couronnement de Charlemagne par le Pape Léon III, le 25 décembre 800, et les conséquences de ce geste pour les relations entre Rome et Constantinople. Des conséquences qui conduiront au schisme entre les deux Églises en 1054.

–          Au 16ème siècle en Occident, la Réforme initiée par Luther et qui va diviser les croyants ; les positions touchant le culte des saints, se feront sentir sur la mariologie.

–          Toujours en Occident, au 18ème siècle, on peut noter le rationalisme des « lumières », puis  la Révolution française et l’introduction du culte de la Raison dans Notre-Dame de Paris.

Après ce bref rappel historique, voici quelques noms et quelques réalités qui témoignent de la place de Marie dans la vie de l’Église.

–          En Orient, après la victoire de l’ « orthodoxie » sur la crise iconoclaste (843), l’Église byzantine affirme son dynamisme en particulier par sa liturgie et son iconographie. Th. KOEHLER, dans son article : Du Moyen Age aux temps modernes, (Marie dans  DSp X, 440-459) peut écrire: « La Theotokos prit dans la vie de cette Église, dans celle de Byzance et finalement dans chaque maison chrétienne, la place éminente que Dieu lui a donnée dans l’histoire du salut, dans la Divine Economie, selon le langage grec. » (art. cit 441)

–          Concernant l’Occident, le même auteur écrit : « A partir de 800, les époques carolingienne, ottomane, romane ont laissé des « images » mariales qui montrent comment l’inspiration byzantine a trouvé des adaptations et suscité des transformations propres à des mentalités fort différentes de l’Orient. (…) Si les byzantins contemplaient la Theotokos dans l’Épiphanie du Pantokrator (…) les occidentaux mirent l’accent sur leur expérience d’une Église en pèlerinage vers Dieu qui nous attire en sa vie, par son Fils présent parmi nous ; et Notre Dame est aussi avec nous, notre aide, notre modèle. » (art. cit. 446) Ainsi dans les mosaïques, dans la liturgie et dans la piété privée dont témoignent les recueils de prières.

–           Le 12ème siècle est le grand siècle marial  avec les cathédrales dédies à Notre Dame où « les fidèles  passaient d’un monde « extérieur » dans l’intimité de l’Église, de Notre Dame Marie, pour être formés, éduqués, conduits vers l’autel, l’Eucharistie, l’union à Dieu. » (art. cit. 450)

–          On peut encore mentionner, au 13ème siècle, le développement de la doctrine mariale en lien avec la doctrine de la rédemption universelle par le Christ (les « maculistes » et les « immaculistes »).  Mais au-delà des discutions des théologiens, il suffit de lire la Divine Comédie de Dante pour comprendre la place que tient Marie dans le peuple chrétien : « le Salut, c’est, s’élever à Dieu. Béatrice invite Dante à contempler la beauté de la rose : celle qui enfanta le Christ Sauveur. (Paradiso 23, 70ss). De même, saint Bernard introduit à la prière à Marie sans laquelle nous serions comme quelqu’un qui voudrait voler sans ailes. » (art. cit. 454)

–          Le Concile de Trente (1545-1563) se contente de rappeler la doctrine mariale commune avec une allusion à l’Immaculée Conception. Dans la suite, on assiste à certains durcissements dus aux préoccupations de la controverse, mais aussi à un renouvellement par un retour aux sources bibliques et patristiques.  (art. cit. 458)

–          Dans l’article consacré à Marie De 1650 au début du 20ème siècle, dans le DSp X, 460-473), S. DE FIORES rappelle, pour le 17ème siècle,  les différentes formes de consécration à Marie, (avec parfois quelques exagérations) et le Traité de la vraie dévotion de Grignion de Montfort (+1716). Pour le 19ème , il mentionne spécialement les apparitions (1830 : Médaille miraculeuse ; 1846 : La Salette ; 1858 : Lourdes : 1871 : Pontmain) et leurs répercussions dans la vie des croyants. On peut ajouter la définition solennelle du dogme de l’Immaculée Conception par le Pape Pie IX  en 1854.

–          Le 20ème siècle est d’abord marqué par l’essor des congrès marials (le premier avait eu lieu à Livorno en 1895) et par une pétition pour « promouvoir une glorification officielle de Marie par un acte formel du magistère infaillible. » Le Cardinal Mercier patronna un projet (en 1921) : définir la médiation universelle de Marie, mais il voulait établir sur des bases théologiques solides ce mouvement qui n’était trop souvent qu’une théologie du cœur. (cf. art. cit. 473-474)

–          Les dernières années du  Pape Pie XII furent marquées par  la définition solennelle de l’Assomption de Marie (1950), puis, pour le centenaire de la déclaration de l’Immaculée Conception, la proclamation de la Royauté de Marie (1954). Le Pape  voulait également se rendre à Lourdes pour le 15 août 1958. Cependant « au cours de son pontificat, il s’abstint progressivement d’employer le titre de médiatrice, qu’il remplaçait systématiquement lors des révisions des textes par des titres équivalents (…) De même alors que les mariologues les plus engagés considéraient la corédemption comme un enseignement  formel du magistère pontifical, Pie XII tint à préciser (…) que cette question n’avait pas été tranchée par le Saint-Siège et qu’elle restait entièrement ouverte à la discussion des mariologues », écrit R. LAURENTIN, dans sa contribution à Marie  V. Le 20ème siècle, dans DSp X, 474).

III. Le Concile Vatican II (1962-1965) et sa réception

Ce rapide rappel des différentes tendances mariologiques dans l’Église du 20ème siècle,  nous aide à comprendre l’importance de la question posée au concile Vatican II : fallait-il intégrer le schéma (élaboré) sur la Vierge Marie à la Constitution dogmatique sur l’Église ? A cette question, les Pères répondirent « par un vote très passionné, très partagé »  (1114 voix contre 1074), en faveur de la proposition : renoncer à un document particulier consacré à Marie pour en faire le chapitre final de Lumen Gentium.  Je cite R. Laurentin : « Le schéma élaboré dans cette nouvelle perspective fut une retraduction de la doctrine classique des papes en termes bibliques, patristiques et liturgiques, une réintégration de Marie à sa place dans l’histoire du Salut et dans la Communion des saints. » (art. cit. 475)

Le pape Paul VI confirma cette orientation du Concile dans deux documents : Signum magum (1967) et Culuts marialis (1974). Une orientation qui se remarque aussi dans les changements apportés à la liturgie par la suppression de certaines fêtes mariales (venues des apocryphes)  et par le rattachement plus souligné d’autres fêtes mariales au mystère du Christ : la Purification de Marie devient la Présentation du Seigneur (2 février), l’Annonce à Marie devient l’Annonce du Seigneur (25 mars), alors que la fête de la Maternité divine ( au 11 octobre) est désormais placée dans l’orbite de Noël (1 janvier).

Dans l’encyclique La Mère du Rédempteur (1987), le Pape Jean-Paul II consacre, lui aussi, toute la première partie du document à souligner la place de Marie dans le Mystère du Christ et il introduit la troisième partie, intitulée La Médiation maternelle par ces mots : « L’Église sait et enseigne avec saint Paul que nous n’avons qu’un seul médiateur. (…)  Le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste, au contraire, la vertu : c’est une médiation  dans le Christ. » (no 38)

De même Benoit XVI dans l’Exhortation apostolique Verbum Domini (2010) tient à souligner la maternité de Marie : Marie, mère du Verbe de Dieu et mère de la foi (lire les no. 27-28) ; un accent que l’on retrouve encore dans l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium  (2013) du Pape François.

Pour conclure

Dans un poème écrit la dernière année de sa vie, Pourquoi j’aime Marie, Thérèse de Lisieux (+1897) « récusait discrètement et fortement une certaine image de la Vierge comme personnage exceptionnel, lointain, inimitable, pour la proposer ensuite comme un modèle attirant de pauvreté, de simplicité, de service. Marie était pour elle plus Mère que Reine. » (art. cit. 476)

On peut espérer que ce rééquilibrage de la position catholique, autour de Vatican II, à l’égard de la Vierge Marie et de son culte permettra à d’autres croyants de redécouvrir la place de Marie dans le dessein de Dieu.

Et peut-être la diversité que l’on peut noter entre les différentes confessions chrétiennes à l’égard de Marie pourrait aussi nous aider à mieux saisir le don que Dieu nous a fait !  Dans un article consacré à Marie, dans le Dictionnaire des Religions, R. Laurentin terminait par ces mots :

« En schématisant, on pourrait dire que les confessions chrétiennes prolongent un certain pluralisme du Nouveau Testament :

–          Les protestants considèrent Marie dans la ligne de S. Paul (Ga 4,4) où elle apparait comme l’instrument de l’Incarnation considéré comme abaissement ou kénose.

–          Les orthodoxes prolongent la Tradition johannique en se centrant sur Marie Théotokos, Mère du « Verbe fait chair » (Jn 1, 14)

–          Les catholiques s’inscrivent dans la ligne de Lc 1-2, le seul hagiographe du Nouveau Testament, le seul évangéliste qui considère Marie de l’intérieur et exalte formellement sa gloire et sa sainteté. » (art. Marie, p. 1051)