« Comme la pluie et la neige descendent des cieux
et n’y remontent pas sans avoir arrosé la terre,
sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer
pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,
ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche,
elle ne revient pas vers moi sans effet,
sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission. »
pouvons-nous lire dans le livre d’Isaïe (Is 55, 10-11).
Nous avons tous été, un jour ou l’autre, étonnés, émerveillés à la vue d’une petite fleur, d’une plante frêle, poussant dans un endroit où on ne l’attendrait guère, dans un mur, au milieu d’une route asphaltée ou dans une minuscule aspérité d’un bloc de rocher. Comment cette petite graine a-t-elle pu parvenir jusque-là ? Comment a-t-elle réussi à se fixer et à prendre racine dans un endroit si peu propice ? Comment a-t-elle pu grandir, faisant même parfois éclater le rocher ? Miracle de la nature !
Quand Jacques Loew racontait sa vie, il ne manquait pas de rappeler comment il avait fréquenté l’Ecole du Dimanche protestante et comment certaines paroles de Jésus s’étaient alors inscrites en lui – bien à son insu – mais avec une force qui devait, des années plus tard, leur permettre de germer et de devenir pour lui des questions et des signes dans sa recherche d’un sens à sa vie.
Je pense que tous ceux qui ont eu la chance de connaitre Jacques Loew ont été frappés par la place qu’il donnait à la Parole de Dieu. Cette Parole lue et relue, tout au long de sa vie. Avec le petit Samuel, il aurait pu dire : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. » Comme il l’exprimait dans un de ses livres :
« Pour savoir le secret d’un ami, je n’ai qu’un moyen, c’est de l’écouter, surtout quand je devine que cet ami a des choses graves à me dire et que je les ignore. […] Beaucoup d’entre nous cherchent sincèrement Dieu, mais pour ainsi dire, ne l’écoutent jamais. Ils se fabriquent alors un Dieu à leur idée et très vite, la vie leur montre que leur idée n’était pas la bonne ; ils recommencent alors parfois, ou parfois se découragent et abandonnent. Mais ils ne se sont pas demandé si, après tout Dieu n’a pas dit lui-même qui il était, s’il n’a pas parlé Lui-même, s’Il n’est pas son propre témoin. […] Seul Dieu peut parler de Dieu. Seul Dieu peut faire découvrir Dieu. Quand on a compris cela, on n’est pas loin de la découverte de Dieu. Mais il faut longtemps pour le comprendre. » (J. LOEW, Dans la nuit j’ai cherché, p. 10-12)
Dans un autre de ses livres, où il veut dresser le portrait de l’apôtre d’aujourd’hui, il parle des trois temps de la Mission que l’apôtre doit trouver dans sa propre vie ; il écrit :
« lui (l’apôtre) a besoin de l’amitié de son équipe, de l’affection des chrétiens d’un quartier ; lui aussi a besoin de la Parole, sans cesse redécouverte et vivante ; lui aussi se nourrit du sacrement de l’Eucharistie et se rénove dans la Pénitence, » et il ajoute : « Mais s’il fallait donner une priorité à ces temps de l’apôtre, et peut-être une priorité dans les années qui viennent pour la chrétienté qui se fonde, il me semble qu’il faudrait situer au premier plan le temps de la Parole. C’est elle qui, lue, écoutée, méditée, mâchée à longueur de jour donnera leur dimension à l’amitié et à la vie sacramentelle. » (J. LOEW, Comme s’il voyait l’invisible, p. 216)
Il ne serait pas difficile de citer encore de nombreux autres textes de Jacques qui témoignent de son amour pour la Parole. Mais je voudrais, en lui donnant largement la parole, relever quatre facettes de ce rapport de Jacques avec la Parole de Dieu, avec la Bible.
L’ANCIEN TESTAMENT OU L’HISTOIRE DU DESSEIN DE DIEU
Dans son livre Mon Dieu dont je suis sûr, Jacques Loew nous raconte sa découverte de l’Ancien Testament. Les Evangiles et les Psaumes avaient accompagné sa recherche de Dieu, mais quand il aborda l’Ancien Testament, il fit l’expérience que beaucoup de lecteurs ont faite pour s’y être lancés sans guide. Il découvre des pages poétiques et lumineuses, mais aussi « certaines pages que l’on disait être l’Histoire Sainte et qui étaient une suite de ruses, de guerres, d’hypocrisie quand le peuple choisi par Dieu sacrifiait aux idoles des païens. » Mais il ajoute :
« Là pourtant se trouvait le point capital. Quand je le découvris, ma Bible en fut transformée : la Bible est le terreau humain des joies et des espérances de l’homme, de ses angoisses et de ses tristesses, de ses pires déchéances et de ses résurrections. L’homme révolté et l’homme transfiguré en sont les deux protagonistes et Dieu est là, présent, tendre et fort. […] Dieu venant à la rencontre de l’homme, l’homme cherchant Dieu ou le fuyant : un Amour, une liberté. […] Non, je n’avais pas à m’étonner des ces ‘hommeries’ racontées par la Bible, où le meilleur et le pire s’enchevêtrent. Elles étaient la preuve salutaire que Dieu prenait chacun de nous et l’humanité de chaque époque où elle en est, même quand ce n’est pas joli du tout. Et du coup, la Bible devenait l’histoire profonde de ma vie. » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p. 108-109)
Pour bien comprendre cette découverte de Jacques, il faut la replacer dans son époque ; une époque où la Bible, et surtout l’Ancien Testament paraissait réservé aux Protestants. Et c’est justement un petit livre protestant – et donc à l’Index dans ces années-là – qui allait lui servir de guide pour découvrir l’Ancien Testament.
Comme il le dit dans le Journal d’une mission ouvrière, il avait jusque-là une « vision religieuse du monde, mais pas à proprement parler historique. ». A travers l’histoire du peuple de Dieu telle que la Bible nous la raconte, « je découvrais non seulement la formation de notre religion chrétienne et sa préparation mais une vision historique du monde. L’histoire sainte devenait l’histoire tout court, la révélation du dessein de Dieu dans le monde. Le Dessein de Dieu, tel était le titre d’un petit livre publié en 1943 par Suzanne de Dietrich et qui a été pour Jacques Loew, comme aussi pour bien d’autres croyants, une clé pour l’Ancien Testament :
« Avec Suzanne de Dietrich et quelques autres, je voyais comment l’histoire numéro un, c’était non celle des doctrines économiques ou des techniques, ou l’histoire des esclaves, des serfs et des prolétaires vers leur émancipation, mais l’histoire de la volonté de Dieu pour l’humanité. Et cette histoire se faisait et se fait dans et par l’histoire humaine. » Elle est « le combat incessant entre Dieu qui appelle et l’homme qui résiste » mais pas en quelque sorte, l’histoire d’une âme de chaque homme tout seul en face de Dieu, mais de l’homme dans son groupe social. Ainsi peu à peu, je retrouvais vitalement l’histoire du plan de Dieu dans le monde […] Pour celui à qui Dieu ouvre les yeux … la Bible devient les Gesta Dei per Christum, en qui toutes les détresses de l’homme et toutes les énigmes de l’histoire trouvent leur réponse. » (J. LOEW, Journal d’une mission ouvrière, p. 228-229 ; J. Loew, reprend ici plusieurs expressions du livre de Suzanne de Dietrich)
Dans cette lecture de l’Ancien Testament, la personne de Jésus prenait corps. Comme il l’écrira bien des années plus tard :
« Si la Bible est l’Histoire Sainte de Dieu prenant en pitié et en patience notre humanité, elle l’est avant tout parce qu’elle prépare la venue de « ce Jésus qu’on appelle le Christ » comme dira saint Matthieu. […] Chacune des rencontres d’alliance entre Dieu et l’homme a sa signification en elle-même, mais en même temps, elle conduit vers un autre, vers Quelqu’un. […] L’Ancien Testament est la préhistoire du Christ. […] Ainsi ce Christ Jésus, Dieu fait Homme, vers qui mon cœur m’avait conduit comme vers le fruit possible de l’Amour démesuré de Dieu, je l’ai trouvé annoncé, prédit et parfois presque décrit tout au long des deux millénaires qui le précèdent et le préparent. Jésus Christ n’est pas un enfant trouvé on ne sait comment sur une crèche. Le long cortège du peuple de la Bible marchait depuis deux mille ans vers Bethléem, » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p. 111-112)
PRIER AVEC LES MOTS DE DIEU : LES PSAUMES
Le Psautier tient dans la Bible une place particulière. « Les psaumes sont comme un résumé : toutes les richesses révélées contenues dans les récits, les préceptes, les exhortations, les promesses et les menaces des autres livres vétérotestamentaires, nous les retrouvons résumées dans les psaumes sous forme de prières » écrit P. DRIJVERS, dans Les Psaumes (lectio divina 21), p. 16.
Dans la plus grande partie de la Bible, c’est Dieu qui parle aux hommes ; dans les psaumes, au contraire, c’est l’homme qui parle à Dieu. Mais cette réponse de l’homme à Dieu, qui lui a parlé, est elle aussi toute entière Parole de Dieu. C’est l’Esprit qui nous apprend à prier : « simples bégaiements au début, peut-être balbutiés inconsciemment ces paroles divines façonnées sur le mode des conversations humaines pénètrent peu à peu, doucement, sans violence, au plus profond du cœur de l’homme. » (L. MONLOUBOU, L’âme des psalmistes (Parole de Vie), p. 14)
Les Psaumes sont l’écho d’une expérience religieuse, celle d’hommes qui ont cherché Dieu et qui l’ont rencontré, non dans des circonstances extraordinaires, mais à travers les difficultés et les joies que tout le monde traverse.
Telle a été l’expérience de Jacques Loew : les Psaumes, comme les Evangiles, ont accompagné son chemin de conversion. Voici ce qu’il écrit lorsqu’il évoque son deuxième séjour en Suisse pour raison de maladie :
« Or tandis que mon cerveau agitait ces grandes pensées sur Dieu et ma liberté de choix face à toutes les religions, il se passait ceci qui me parait aujourd’hui bien comique et attendrissant dans la mesure où Dieu devait bien en être l’inspirateur : je récitais le bréviaire ! Oh ! non pas le livre relié de noir à tranches rouges ou dorées de l’époque, mais cependant un bréviaire véritable de ma confection puisque, bien entendu, celui des curés m’était inconnu et m’aurait horrifié ! Le Nouveau Testament de poche que m’avait donné le pasteur contenait aussi les Psaumes. Je lisais donc chaque matin quelques Psaumes, un passage des Evangiles et la fameuse Imitation de Jésus-Christ, que j’avais dédaignée à Nice. » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p. 92)
Ces Psaumes, Jacques ne va plus les lâcher. Ceux qui ont eu l’occasion de voir son Psautier en sont convaincus ; un petit Psautier de la Bible de Jérusalem, tout souligné et annoté de son écriture si caractéristique. Jacques a continué à travailler ces textes jusqu’à la fin de sa vie. Il aimait à se servir pour cela de la traduction d’André CHOURAQUI et d’un autre livre (sans nom d’auteur) intitulé Parole et Esprit du Psautier chrétien. Il cherchait à approfondir le sens des mots bibliques, dont il voulait retrouver la saveur originale qu’une traduction ne peut que rendre très partiellement. Pour s’en convaincre, il suffit de relire les pages 121-135 de son livre Mon Dieu dont je suis sûr, où il parle de la Todah, puis de ces mots intraduisibles de la Bible pour exprimer la tendresse et la fidélité de Dieu.
Les Psaumes sont les témoins d’une humanité véritable ; des hommes y crient leurs peines et leurs joies, leurs détresses et leurs attentes. Mais ils crient devant Dieu ; ils s’adressent à Quelqu’un. Je me souviens d’un confrère sur son lit d’hôpital, ne pouvant plus parler à cause de son cancer à la gorge et qui me disait en écrivant sur une tablette : maintenant je comprends les psaumes !
C’est sans doute son expérience de la maladie comme aussi son attention aux problèmes des hommes durant son travail de docker et son ministère au milieu des ouvriers, qui ont donné à Jacques ce goût et cette familiarité avec les Psaumes. Les mots des psalmistes venaient spontanément sur sa langue. Au début de Mon Dieu dont je suis sûr (p. 6-7) quand il présente ce livre comme un regard sur les 50 années écoulées depuis le Jeudi-Saint 1932 et qu’il s’interroge sur les raisons qui l’ont amené à partager ainsi son expérience, Jacques écrit : « Plus dynamique est la réponse que je puise dans ma Bible » et alors, coup sur coup, il cite quatre passages tirés des Psaumes.
Dans livre publié en 1957, Dom Célestin CHARLIER écrivait : « Pour savoir prier dans les Psaumes, il faut savoir tirer de toute la Bible une prière. La vieille version gallicane n’est pas seule responsable, malgré ses bévues, de l’ennui que beaucoup de prêtres éprouvent à la lecture du bréviaire. Tant qu’ils ne retrouveront pas véritablement une familiarité profonde avec toute l’Ecriture, aucune nouvelle version, même en langue vulgaire, ne les introduira à l’esprit de la prière liturgique. » (C. CHARLIER, La lecture chrétienne de la Bible, (Livre de Vie 46-47), p. 340). Jacques Loew, j’en suis certain, aurait bien passé ce test !
A L’ECOLE DE L’APOTRE PAUL
En relisant le Journal d’une Mission ouvrière, je me suis posé la question : comment s’est faite la rencontre entre Jacques Loew et saint Paul ? Quand Jacques a-t-il vu en Paul le modèle de l’apôtre ?
En effet, quand Jacques raconte sa découverte de la Bible, après avoir mentionné l’importance des Evangiles et des Psaumes, il écrit : « Il y avait bien, aussi, saint Paul, mais en dehors de quelques phrases qui m’atteignaient en plein cœur, j’expérimentais ce que saint Pierre écrivait aux chrétiens d’Asie Mineure : « Dans ses lettres, il se trouve des passages difficiles ! » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p.108)
Bien sûr on peut penser que l’itinéraire de saint Paul était particulièrement parlant pour un converti, ayant vécu lui-même une expérience qui avait transformé sa vie. Mais il y a bien des différences entre le cheminement de Paul et celui de Jacques Loew.
Paul sur le chemin de Damas était un croyant, animé par sa foi juive et prêt à tout donner pour que ses frères ne se laissent pas dérouter par l’annonce chrétienne. Renversé par la rencontre avec Jésus Ressuscité, il se met immédiatement à annoncer avec ardeur cette foi qu’il voulait détruire. Comme il le dit lui-même : « Les Églises de Judée […] avaient seulement entendu dire : « Celui qui autrefois nous persécutait annonce maintenant comme une bonne nouvelle la foi contre laquelle il s’acharnait. » (Ga 1, 22-24)
Au contraire, Jacques Loew nous dit clairement qu’à 24 ans, il était parfaitement incroyant. C’est au cours de sa maladie que la question du sens de la vie, puis celle de Dieu et finalement celle du Dieu de Jésus-Christ, se sont posées à lui.
On pourrait mentionner un élément plus proche : le besoin de faire connaitre ce Dieu qui s’est ainsi révélé, de dire cet amour inouï. Ce que Paul exprime en Ga 2, 20 : « Il m’a aimé et il s’est livré pour moi. » Mais cela, n’est-ce pas le désir de tous les convertis, au cours de l’histoire ?
Il me semble que pour comprendre la place que Paul va prendre dans la vie de Jacques Loew, il faut partir de son expérience missionnaire à Marseille. Dans le bilan daté de janvier 1953, des onze années qu’il a passées au milieu des dockers, Jacques se pose la question de la mission. Qu’est-ce que la mission ? Et il écrit :
« A force d’élargir ce mot de « mission » on lui enlève sa force de pénétration. Il y aurait une tendance qui consisterait à dire aux missionnaires acceptant la charge d’un secteur territorial : « Organisez votre église en paroisse modèle : ayez toutes les œuvres, toutes les aumôneries. Donnez satisfaction à tous les milieux chrétiens. Ensuite allez aux éloignés.
Le Christ, au contraire, disait à Paul : « Va, c’est vers les incroyants que je veux t’envoyer ». Car il savait bien que si l’on veut fignoler à fond les œuvres de la paroisse et bichonner la brebis fidèle, jamais on n’arrivera aux quatre-vingt-dix-neuf perdues. » (J. LOEW, Journal d’une Mission ouvrière, p. 258)
On sent bien ici la préoccupation de Jacques, qu’il exprime davantage un peu plus loin :
« Devant les constatations précédentes : absence habituelle du besoin du divin, laïcisation du message chrétien, je suis certain que la Bonne Nouvelle du Royaume ne pourra passer que par de petites cellules chrétiennes qui proliféreront agglutinant les voisins d’alentour. C’est ainsi que le christianisme primitif s’est développé. » (id. p. 274)
Ce modèle de la mission, Jacques Loew l’a trouvé dans les écrits de saint Paul : « Je viens de relire – écrit-il – tous les textes de saint Paul sur son attitude missionnaire. J’avoue que lorsque j’ai repris tous ces textes au bout de onze ans, je ne vois pas de meilleures justifications, ni de plus adaptées aux circonstances actuelles, que celles données par saint Paul. » (id. p. 275)
Paul lui parait le modèle qui réussit à tenir ensemble cette « foi brûlante dans le Christ, seule source de salut » et une activité apostolique débordante. Dans son livre Comme s’il voyait l’invisible, Jacques revient sur ce point et il définit l’apôtre comme l’homme de la foi, de la Parole et de la pauvreté. Citant He 11, 27 « comme s’il voyait l’invisible, il tint ferme », – que Jacques attribue ici à Paul – , il commente : « l’apôtre, c’est celui qui fait profession de guider les hommes vers l’invisible. Le voit-il lui-même ce but caché ? Directement non. […] Il est l’homme de la foi : il ne voit pas, il ne sait pas, il croit. » (J. LOEW, Comme s’il voyait l’invisible, p. 14)
Et un peu plus loin : « Quand on dit de l’apôtre qu’il est l’homme de la Parole, ce n’est pas d’abord parce qu’il parle pour annoncer le message : c’est antérieurement à toute action, parce qu’il a misé sa vie, pour lui et pour tous les hommes, sur la Parole de Dieu. » Et encore : « le mystère de l’apostolat résulte bien de sa nature même : apprendre aux hommes à éclairer leur vie par la Parole divine. » (id. p. 14 et 16)
MÉDITER LE MYSTÈRE DU VERBE INCARNÉ
Si Jacques Loew a découvert le Dieu qui parle dans notre histoire à travers les grandes figures de l’Ancien Testament et dans la prière des Psalmistes ; si plus tard, son expérience missionnaire lui a fait découvrir les richesses des Lettres de saint Paul, c’est pourtant Jésus, le Verbe fait chair qui a été et qui est resté sa joie et son émerveillement.
La beauté, la perfection et la fragilité d’un flocon de neige lui avait fait pressentir une Beauté, une Intelligence. Ainsi l’existence d’un Etre supérieur, d’un Dieu s’était peu à peu imposée à lui. Mais quel Dieu ?
Le Nouveau Testament qu’il relisait alors le renvoyait à Jésus dont on lui avait parlé autrefois à l’Ecole du Dimanche protestante, au Dieu de Jésus et à Jésus lui-même. En relisant les pages de l’Evangile, il s’émerveillait.
« Oui, Jésus de Nazareth m’attirait. Jamais homme n’avait parlé comme cet homme… Il me faisait connaitre Dieu. Mais ce Dieu qu’il appelait son Père était-il l’Au-delà de tout que je cherchais ? Et surtout, lui, Jésus, était-il Dieu ?
« Ce débat intérieur n’avait rien d’original. Presque tous, convertis ou non, nous l’avons vécu. Et tout d’abord, les chrétiens du premier siècle quand ils commencèrent à joindre au nom de Jésus les deux épithètes : Dieu et homme…
« Vous connaissez la suite, la petite phrase de la Première Lettre de Jean, brodée sur le napperon : Dieu est Amour.
« Et ainsi la lumière se fit : de quel droit, moi, refuser à Dieu, l’Etre que je pressentais sans mesure, un acte d’amour à mes yeux démesuré ? Si l’Amour est son nom ?
Jésus Christ, Dieu lui-même venu parmi nous, une réalité démesurée ? Oui. Absurde ? Non. A la dimension de Dieu ? Oui.¨
« Ce qui était impensable aux dimensions humaines, devenait possible à l’échelle de Dieu. Un amour à la taille de l’Infini pouvait inventer un geste aussi excessif : Dieu s’est fait chair et il a demeuré parmi nous. » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p. 93-94)
Dans son livre Dans la nuit, j’ai cherché, Jacques Loew nous partage sa méditation sur ce mystère :
« Mon Dieu, tendresse infinie et vivante
non pas une idée, mais Quelqu’un.
Et voici ta plus extraordinaire pensée
car ce Dieu éternel, au-delà de toute succession,
et ce Dieu Esprit, au-delà de toute localisation,
va venir se mêler au temps et à l’espace :
« Au sixième mois, dit saint Luc …
dans une ville de Galilée, appelée Nazareth …
à une Vierge, et le nom de la Vierge était Marie … »
Un petit village, un tout petit peuple sans importance,
des pauvres gens, une petite jeune fille … Dieu …
« Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous,
et nous avons vu …
Ainsi trente trois ans durant,
oui, sur notre terre, cette planète moins que rien, elle aussi,
Dieu vient éterniser le temps.
Mon Dieu, cela donc peut-il se faire ?
– Oui, car Dieu est Amour.
En ces trois mots, ces trois gouttes de rosée sont la source d’eau
inépuisablement jaillissante en Vie Eternelle, en force, en joie. »
(J. LOEW, Dans la nuit, j’ai cherché, p. 37-38)
Cet éblouissement devant le mystère de l’Incarnation l’a habité pendant toute sa vie. En 1982, il pouvait écrire :
« Voilà cinquante ans que je ne cesse de découvrir ce Christ, ne faisant, je le sais, qu’effleurer son mystère. Mais cela même me réjouit et me rassure […] Vrai Dieu et vrai homme, vraiment Dieu, vraiment homme, chacune de ces affirmations se répercute sur l’autre et grandit par l’autre dans un va-et-vient incessant. Sur lui, la banalité n’a pas de prise.
Par vocation, pendant des années, j’ai lui, étudié, ce que les théologiens anciens et modernes ont écrit. Pourtant, je n’en sais pas davantage sur ce Christ que ce que le Credo en quelques mots me dit :
Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, le Père tout-puissant,
conçu de l’Esprit Saint, né de la Vierge Marie …
Mais chacune de ces affirmations me parait chaque fois plus certaine, plus riche de sens, plus étonnante. » (J. LOEW, Mon Dieu dont je suis sûr, p. 95)
On comprend alors pourquoi dans les dernières années, Jacques se sentait particulièrement attiré par l’Evangile selon saint Jean où Jésus ne cesse de révéler son mystère et celui du Père qui l’a envoyé.
Aussi je terminerai volontiers par un autre texte johannique qu’il aimait à méditer et à citer, le début de la Première Lettre de saint Jean :
« Ce qui était dès le commencement,
ce que nous avons entendu,
ce que nous avons vu de nos yeux,
ce que nous avons contemplé,
ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ;
– car la Vie s’est manifestée ;
nous l’avons vue et nous en rendons témoignage
et nous vous annonçons cette Vie éternelle,
qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue –
ce que nous avons entendu et vu nous vous l’annonçons
pour que vous soyez en communion avec nous.
Quant à notre communion,
elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ (1 Jn 1, 1-4).