LA SYMBOLIQUE DANS L’EVANGILE DE JEAN

jarresSous ce titre « la symbolique dans l’Evangile de Jean », se cache souvent la question de l’historicité de ce que rapporte cet Evangéliste au sujet de Jésus : est-ce que c’est « vrai » ? En effet, quand il lit l’Evangile de Jean, le lecteur note immédiatement une différence avec les Evangiles synoptiques. Alors que les trois premiers Evangiles nous présentent un parcours de Jésus, de Galilée à Jérusalem, après le baptême prêché par Jean-Baptiste jusqu’à la Pâque où il meurt (cf. Ac 10, 37ss), Jean nous parle d’un ministère de Jésus s’étendant sur plus de deux années (cf. les 3 fêtes de la Pâque juive : Jn 2, 13 ; 6, 4 ; 11, 55) et qui se déroule principalement à Jérusalem (Jn 5. 7-12 ; 13-20). Mais ce qui frappe encore davantage le lecteur, c’est la manière dont s’exprime Jésus dans cet Evangile. Le langage est différent et surtout les dialogues prennent ici une place beaucoup plus importante : l’entretien avec Nicodème (Jn 3), avec la femme de Samarie (Jn 4),  le discours sur l’œuvre du Fils (Jn 5) ; le discours du Pain de vie (Jn 6), les enseignements durant la fête des Tentes (Jn 7-8), puis le (ou les) discours après la Cène (Jn 13-17). D’autre part, le lecteur remarque que les « miracles » de Jésus sont bien moins nombreux que dans les Synoptiques, mais ils prennent une autre dimension. Jean n’en garde que 7 – même s’il nous dit qu’il y en a bien d’autres : cf. Jn 20, 30 et 21, 25 – et plutôt que de les présenter comme des manifestations de puissance (dynameis), il parle de « signes » (sémeia) qui révèlent la personne du Fils. C’est aussi du Fils, de la personne de Jésus, que traitent directement les controverses, même si elles sont parfois suscitées par le problème du sabbat (Jn 5, 16 ; cf. 9, 18). En effet, chez Jean l’identité de Jésus est dévoilée au lecteur dès le Prologue (Jn 1, 1-18) et elle prend une grande place dans la suite du récit. Comme l’écrit E. COTHENET « Dans Jn, les disciples reconnaissent d’emblée Jésus comme Messie (1, 41.45.49) et lui, de son côté, multiplie les déclarations sur sa personne (ainsi 4, 25 ; 8, 58 ; 10, 36-38). A la pédagogie progressive que Mc a systématisée par l’ordre du « secret » s’oppose la révélation en clair de la personne du Maitre, selon le but que Jn s’est assigné. (20, 30s) ». (dans Introduction à la Bible, Nouvelle Edition, sous la direction de A. GEORGE et P. GRELOT, Tome III, Volume IV : La Tradition johannique, Paris 1977, p. 225)

Ecrire un Evangile

Pour essayer de comprendre ce problème, il faut d’abord donner toute sa signification à ce que l’auteur nous dit, au terme de son Evangile : « Jésus a opéré sous les yeux des disciples, bien d’autres signes qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour que vous croyez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20, 30-31) Jean ne veut pas simplement nous raconter la vie de Jésus, comme le ferait un auteur qui s’intéresse à un personnage du passé ; il veut partager sa foi avec ceux qui le liront. Il entend, certes, nous parler de Jésus de Nazareth (cf. 1 Jn 1, 1), mais il nous en parle à la lumière de la foi pascale, comme il le dit explicitement (2, 17.22 ; 12, 16 ; 13, 7 ; 20, 9). Ce travail d’anamnèse est l’œuvre du Paraclet (14, 15 ; 15, 26 ; 16, 7-11.13.15) : « Seule la rétrospective pascale agie par l’Esprit permet de découvrir le sens achevé de l’incarnation, du ministère terrestre, de la Passion et de l’élévation du Fils. L’évangile est donc par excellence un témoignage rendu au Christ incarné, dans la force de l’Esprit, lequel à la fois conserve le souvenir du Christ terrestre et en dit l’actualité pour l’aujourd’hui de la foi. » (J. ZUMSTEIN, dans Introduction au Nouveau Testament, sous la direction de D. MARGUERAT, Genève 2004, p. 364 Cette relecture porte, tout naturellement, la marque de son auteur : elle est « johannique » et elle veut répondre aux besoins de la communauté dans laquelle et pour laquelle elle est faite. Comme le disait le Document de la Commission Biblique Pontificale (1964), sur la Vérité des Evangiles, Sancta Mater Ecclesia : « (Les auteurs sacrés) choisirent certains éléments parmi ceux qui avaient été transmis, ils en résumèrent quelques uns, ils en développèrent d’autres, eu égard à l’état des églises. Ils s’efforcèrent de faire connaitre à leurs lecteurs la solidité des paroles dont ils avaient été instruits. En effet, les auteurs sacrés choisirent de préférence parmi tout ce qu’ils avaient reçu ce qui était le plus utile à leur propos et aux différentes conditions des fidèles et ils le racontèrent de la façon qui correspondait à ces conditions comme aussi au but qu’ils s’étaient fixé. » Avant d’aborder la symbolique de l’Evangile de Jean, je voudrais encore ajouter quelques clarifications sur les deux notions d’histoire et de symbole.

L’histoire

Quand on parle de l’histoire des Evangiles (ou de la Bible), on ressent souvent un malaise. On entend souvent la question : est-ce que c’est vrai ? sous-entendu : est-ce que les choses se sont bien passées ainsi ? est-ce « historique » ? Beaucoup restent encore marqués par la conception positiviste de l’histoire du 19ème siècle, et par l’apologétique déployée par les croyants contre ceux qui, à partir de cette conception de l’histoire, s’attaquaient à la foi biblique et chrétienne. Selon cette conception positiviste de l’histoire, certains auraient voulu décaper les Evangiles de tous les apports dus aux premiers chrétiens pour accéder à des faits bruts du ministère de Jésus et atteindre un noyau historique incontestable. Mais on ne peut pas faire de l’histoire comme on fait des sciences naturelles ! Voici ce qu’écrivait H.-I. MARROU dans son livre De la connaissance historique, (1954), où, après avoir souligné que l’histoire est notre connaissance du passé, basée sur les documents qui nous sont parvenus et à travers le regard d’un historien, il faisait une application au sujet qui nous intéresse plus directement : « Prenons comme exemple l’interprétation des Evangiles canoniques. Que de temps perdu par la « critique » à rechercher la crédibilité du témoignage qu’ils portent sur les événements de la vie de Jésus. Nous commençons seulement (…) à nous rendre compte qu’il fallait d’abord comprendre ce qu’était un Evangile : ce n’est pas un recueil de procès-verbaux, de constats d’évènements, plus ou moins exacts ou tendancieux, plus ou moins fidèlement transmis ; l’auteur ne se proposait pas de fournir un jour une documentation à l’histoire historicisante, mais bien autre chose : il voulait, dans la perspective existentielle de la catéchèse ecclésiastique, transmettre à ses lecteurs la connaissance du Christ, nécessaire au salut ; pour élaborer cette image de Jésus, il a pu être amené à toute une manipulation de ses sources qui nous déconcerte peut-être (par son indifférence, par exemple à la chronologie), mais qu’il serait naïf de qualifier de falsification ou de mensonge. » (op. cit. p. 107-108) En effet, comme il le dit plus loin : « Connaissance de l’homme par l’homme, l’histoire est une saisie du passé par, et dans, une pensée humaine, vivante, engagée. Elle est un complexe, un mixte indissoluble de sujet et d’objet. (…) Qu’il entre, et de façon irréductible, quelque chose de l’historien dans la composition de l’histoire n’empêche pas qu’elle puisse être aussi, du même coup et en même temps, une appréhension authentique du passé. » (op .cit. 232)

Le symbole

Abordons maintenant le problème que pose le symbole à notre culture moderne marquée par une pensée rationnelle et scientifique. Le terme nous vient du grec, à travers le latin. Symbole, (sumbolon, de sunballein = jeter/ mettre ensemble) : un symbole est une figure ou une image qui sert à désigner une chose le plus souvent abstraite, une idée ou un concept. Le symbole nous renvoie à autre chose que nous ne pouvons atteindre directement. Comme l’écrit X. LÉON-DUFOUR « pour le comprendre, il faut avant tout admettre que mot « symbolique » ne s’oppose aucunement à « réel » en dépit des mentalités habituées à une présentation ontologique du monde Il faut faire une véritable conversion mentale en saisissant ce qui différentie le symbole du signe. (…) La fumée est signe du feu ; fumée et feu sont deux réalités du même ordre, existant indépendamment de l’esprit qui les perçoit ; c’est pourquoi, on ne peut pas dire que la fumée « symbolise » le feu. « En d’autres cas, le signifiant évoque d’emblée autre chose, une réalité qui appartient à un autre ordre et ne peut être saisie que par l’esprit de l’homme. (…) Selon la « performance » du locuteur ou la « compétence » de l’interlocuteur, le « signifiant « eau », par exemple, peut symboliser la fraicheur, la fécondité, la destruction…(…) ; l’eau n’est pas un « symbole » en soi ; c’est l’esprit de l’homme qui, à partir de sa culture ou de son inconscient, entre en communion avec tel ou tel aspect d’un signifiant qui est déjà lourd de ce que l’esprit peut y mettre ou y découvre. Ainsi il en détermine ou en perçoit la valeur symbolique. » (Le Partage du Pain Eucharistique, p. 151-152). Je reviendrai encore sur ce point en parlant de la symbolique johannique. Or, comme l’écrivait P. GRELOT : « Aucune religion ne peut se passer de symboles, soit pour exprimer en mots humains sa conception de Dieu et du monde surnaturel, soit pour assurer par des rites sensibles l’union de l’homme avec le divin. » (Sens chrétien de l’Ancien Testament, p. 210) Si la Bible recourt aux symboles, ce n’est donc pas d’abord par souci esthétique. Les symboles sont essentiels, porteurs d’un contenu inépuisable, qui ne pourrait pas être exprimé autrement. « Le langage humain y recourt nécessairement dès qu’il veut parler des choses de Dieu. Entre l’expérience sensible et celle des choses de Dieu, il suppose reconnus mille jeux de correspondances, qu’il exploite pour évoquer les secondes à partir des premières. » (op. cit. p. 364) C’est ainsi que l’Ancien Testament reprend – en les rectifiant si nécessaire à partir de la foi biblique – les mêmes représentations que l’on peut trouver dans les paganismes environnants (par ex. l’image de Dieu, roi avec sa cour divine ou de Dieu, berger de son peuple). Le Nouveau Testament apporte un fait nouveau qui bouleverse la perspective : l’Incarnation. « Il en découle deux conséquences. En premier lieu, le contact historique des hommes avec le Verbe fait chair (cf. 1 Jn 1, 1) fournit une base nouvelle de la connaissance de Dieu ; les vieux symboles, fondés sur des analogies humaines et déjà rectifiés par l’Ancien Testament, sont à réinterpréter en fonction d’elle. En second lieu, l’union des hommes avec Dieu, se trouve effectivement réalisée, non plus à travers des rites symboliques, mais dans la personne même de Jésus, Verbe fait chair. » (op. cit. p. 212-213) Sans la symbolique nous ne pourrions pas exprimer le contenu de notre foi chrétienne qui ne relève pas du domaine historique, si ce n’est pour l’historicité de la personne de Jésus de Nazareth.

La symbolique dans l’Evangile de Jean

L’écriture johannique de l’Evangile met davantage en valeur le symbolisme, même si cela ne lui pas réservé ; les Synoptiques le font également. « Aucun évangéliste ne prétend raconter les événements du passé sans les interpréter selon leur signification pour l’aujourd’hui du lecteur ; chacun livre le témoignage de sa communauté ecclésiale sur les faits qui en fondent l’existence et la foi » écrit X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Evangile selon Jean, tome I. p. 13) Mais Jean nous en donne clairement la raison : durant sa vie terrestre, « Jésus n’a pas pu révéler en toute clarté le mystère qui le concernait et nous concernait (…) mais il a pu déposer dans le cœur des disciples des paroles au caractère « séminal. » C’est pourquoi, après le départ de Jésus, cette révélation s’est poursuivie ou plutôt a été rendue présente sous un autre mode grâce au don de l’Esprit (Jn 14, 16. 26). (Cf. op. cit. p. 14) En effet, « au fondement de l‘ « opération symbolique » pratiquée par l’évangéliste Jean il y a son affirmation que « le Logos est devenu chair » et donc que les réalités sensibles (lumière, eau, pain, porte…), tout comme les personnages qui gravitent autour de Jésus, sont, chacun à sa manière, porteurs de la Parole de Dieu pour moi aujourd’hui. » (X. LÉON-DUFOUR, Le Partage du Pain Eucharistique, p. 301) Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la place donnée au symbolisme a parfois jeté le doute sur la valeur historique du Quatrième Evangile. Mais sur bien des points, les historiens donnent aujourd’hui raison à Jean sur les différences relevées entre son Evangile et les Synoptiques : ainsi pour ne citer que quelques-unes : la durée du ministère de Jésus avec la triple mention de Pâque, la date du dernier repas et celle de la crucifixion le Jour de la Préparation de la Pâque (Jn 19, 14); la mention du Lithostrôtos – dallage – (Jn 19, 13 et note TOB). Comme le notait aussi A. JAUBERT, « il faut pénétrer lentement dans l’univers des signes où se meut le IVe évangile (…) A une longue fréquentation de l’évangile, doit se joindre la connaissance du contexte culturel, du symbolisme biblique et oriental pour que soient saisies correspondances, évocations, suggestions. » (Approches de l’Evangile de Jean, p. 54) En désignant les miracles de Jésus par le mot sèmeion (signe), plutôt que par dunamis (puissance), l’auteur nous invite à voir dans les œuvres étonnantes de Jésus, non l’acception de puissance mais celle de signification. Ainsi pour le miracle de Cana, le début des « signes » de Jésus (Jn 2, 11). « L’auditeur est orienté vers une compréhension qui dépasse le sens immédiat du texte et l’amène à saisir un sens caché, christologique. Jésus donne un vin excellent (meilleur que le précédent : 2, 10), un vin de noces, surabondant qui évoque la prodigalité attendue pour les temps messianiques (…) L’emploi du terme sèmeion n’est qu’un des points où le langage de Jean relève d’une symbolique qui est diffuse dans tout l’évangile. Si tout est « signe » pour Jean, c’est que tout acte de Jésus – toute attitude, tout geste – est lourd de signification ; c’est une « parole » que le Logos fait chair adresse à l’homme. La vie de Jésus, aux yeux de l’auteur, a été pour ceux qui ont su la déchiffrer une épiphanie permanente (Nous avons vu sa gloire : 1, 14). C’est pourquoi, chez Jean, il est rare qu’une scène ne comporte pas de double sens, ou même plusieurs sens qui n’apparaissent pas immédiatement.» (op. cit. p. 54-55) Pour cela, l’évangéliste met à l’œuvre différents procédés : – La symbolique des chiffres : les 6 jarres (Jn 2, 6), les 153 poissons (21, 11) ; le nombre 7 (pour les « signes » et pour les « Je suis » suivis d’une précision…) – Les mots à double sens : naître anôthen : de nouveau / d’en haut (3, 3) ; le Fils de l’Homme qui doit être élevé, comme le serpent (3, 14), mais aussi élevé en gloire (8, 28 ; 12, 32.34) ; notre ami Lazare s’est endormi, mais je vais aller le réveiller (11, 11). – Le quiproquo : une parole de Jésus, qui n’est pas immédiatement compréhensible par son interlocuteur et provoque une demande d’explication : ainsi dans les dialogues avec Nicodème, avec la Samaritaine. (cf. sur ces points, op. cit. 55-62). Ce symbolisme johannique est un langage au service d’une catéchèse ; par ces images, l’auteur essaie de traduire ce que représente le Christ pour la communauté croyante. Grâce au don du Paraclet (Jn 14, 26 ; 16, 13), le croyant peut maintenant entrer peu à peu dans le mystère du Fils, comme l’Evangéliste nous le dit expressément en Jn 2, 22 et 12, 16. Mais comme l’Evangéliste le dit explicitement, cette démarche se fait en deux temps : le temps des auditeurs contemporains de Jésus et celui des lecteurs de l’Evangile à la lumière des événements de Pâques : ainsi pour la parole sur le Temple (Jn 2, 19-22). Ainsi en Jésus s’accomplit toute l’Ecriture (cf. Jn 19, 28-30) : « c’est pourquoi sur le Christ johannique s’achèvent les grands symboles de l’histoire d’Israël, dont beaucoup s’étaient enrichis de nouvelles harmoniques dans le judaïsme tardif : l’image de l’eau et du puits, le thème de l’Epoux, de l’Agneau, du Pasteur, de la Vigne, de la Manne… » (op. cit. p. 111) Voici quelques exemples bien connus où Jean fait usage du symbolisme pour nous exposer le mystère de Jésus.

Jn 2, 1-12 : Le commencement des signes

Dans le Quatrième Evangile les premiers disciples de Jésus lui viennent directement de Jean-Baptiste. (Jn 1, 35ss). Or leur première expérience avec Jésus est la participation à des noces (2, 1-2). Cette mention de noces nous renvoie à un thème bien connu de la Bible, depuis Osée (Os 2. 4ss), Jérémie (Jr 2, 2ss), le Deuxième Isaïe (Is 54, 1-10 et note BJ sur le titre), pour parler de l’alliance que Dieu avait conclue avec Israël (cf. Ex 19, 3-8 ; 24, 1-11). Mais la fête, à laquelle Jésus et ses disciples sont invités (v. 2), risque de tourner court car le vin vient à manquer. A la demande de sa mère, Jésus va faire « le commencement des signes » (v. 11) en donnant abondamment du vin, meilleur que celui servi jusque-là (v. 10). Ce récit n’est pas pour l’Evangéliste un récit biographique ou celui d’un prodige merveilleux. Il s’agit d’une noce, et pourtant on ne parle pas de la mariée ; le marié est à peine évoqué (v. 9). On remarque, par contre, l‘importance donné au dialogue entre Jésus et sa mère (v. 2-5), les détails sur les jarres (nombre : 6 ; la matière : de pierre ; leur usage : pour les purifications des Juifs) ; également l’insistance sur le rôle et l’obéissance des serviteurs (v. 5. 7. 8). La parole de la mère de Jésus aux serviteurs (v. 5) peut faire référence à Ex 19, 8 et 24, 3. 7 ainsi qu’à Gn 41, 55. A noter encore la mention du temps : « le troisième jour… » (v. 1) où certains voient l’achèvement de la « semaine inaugurale » (cf. les notes de BJ et TOB sur v. 1).Mais l’expression « le troisième jour » peut aussi nous nous renvoyer aux grandes manifestations de Dieu pour son peuple (Ex 19, 11 et 16 ; Gn 22, 4 ; Os 6, 2). On peut encore signaler le titre de « Femme » que Jésus donne ici à sa mère (ce qu’il  fera encore en Jn 19, 26) : comme l’écrit, X. LÉON-DUFOUR « il ne se rapporte sans doute pas à la première Femme, ce qui ferait de Marie une nouvelle Eve ; il évoque la Sion idéale, elle-même représentée dans la Bible sous les traits d’une femme et plus précisément ceux d’une mère. Marie personnifie la Sion messianique qui rassemble autour d’elle ses enfants lors de la fin des temps. En toute vérité, elle est d’abord la personnification d’Israël. « Dans le cadre d’une noce au cours de laquelle la mariée n’apparait pas, c’est la mère de Jésus qui tient lieu de Sion, qui est l’épouse Israël. (…) Dans les servants, on pourrait voir Israël soucieux d’obéir à l’Envoyé de Dieu ; ils expriment le désir actif des croyants de l’ancienne Alliance. Tout ce qu’ils peuvent faire, ils le font : remplir les jarres de purification avec de l’eau à ras bord. » (Lecture de l’Evangile selon Jean, tome I, p. 223-224). Les Pères de l’Eglise aimaient à souligner que Jésus s’était servi de l’eau (mise dans les jarres) pour donner ce vin merveilleux ; pour eux cela signifiait que l’alliance de Dieu avec Israël est devenue, par Jésus, l’alliance nouvelle, de même qu’à Cana, l’eau était devenue du vin (v. 9). A la fin du premier chapitre, Jésus disait à Nathanaël : « tu verras des choses bien plus grandes… (1, 50). Dans notre récit, il dit aux serviteurs : « Puisez maintenant et portez-en au maitre du repas. ». Je cite encore X. LÉON-DUFOUR : « par la présence de Jésus (…) l’Alliance de Dieu avec les hommes va s’accomplir. Le moment est inaugural et il s’actualisera au long de la vie de l’Eglise, où sera puisé et goûté de jour en jour le produit de l’eau et de la parole. Ce « maintenant » ouvre une présence qui ne cessera plus. (…) « L’eau de la création est devenue l’eau de la purification ; ensuite c’est à travers les jarres que cette eau peut, à la parole de Jésus, devenir du vin. L’alliance noachique, qui signifie la présence de Dieu à toute la création, a été recueillie par Israël, et c’est à travers Israël que Jésus la reprend pour être consommée dans l’alliance définitive. » (id. p. 238- 239).

Jn 3, 11-18 : Comme le serpent dressé au désert …

On ne peut comprendre ce que Jean veut nous dire dans ce passage de son Evangile sans faire référence à l’épisode des serpents brûlants, que l’on trouve en Nb 21, 4-9 et à sa relecture en Sg 16, 6, 10. Comme nous le dit la note TOB sur Nb 21, 8 : « Le symbole du dieu guérisseur (un serpent enroulé autour d’une perche) était souvent représenté dans l’Antiquité. Notre récit pourrait être une tentative d’assimilation d’un culte païen rendu à un tel dieu. Les éléments étrangers à la foi d’Israël sont éliminés, et c’est le Seigneur lui-même qui offre à son peuple ce moyen de guérison. » Au 1er siècle avant notre ère, l’auteur de la Sagesse relit ainsi cet épisode lié aux évènements du désert lors de la sortie d’Egypte ; il écrit : « En effet, quiconque regardait (le serpent) était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous (…) car ta miséricorde vint à leur rencontre et les guérit, (…) Ni herbe ni pommade ne vint les soulager, mais ta Parole, elle qui guérit tout » (Sg 16, 7. 10. 12). Ainsi pour l’auteur de la Sagesse, la guérison provenait du Dieu unique et universel et de sa Parole, (la LOI de Moïse). En Jean, cette Parole qui sauve a pris un visage, celui de Jésus et cette guérison annonce le mystère pascal : « Comme Moïse a élevé le serpent au désert, il faut que le Fils de l’Homme soit élevé, afin que quiconque croit, ait en lui la vie éternelle. Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, afin que tout homme qui croit ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » (Jn 3, 14-16)

Jn 6 : Jésus, le Pain de Vie

Le miracle des pains est le seul miracle de Jésus que nous lisons dans les quatre Evangélistes ; tous soulignent son importance (cf. la note de BJ sur Mt 14, 13 et celle de TOB sur Jn 6, 1) en le mettant en relation avec le don de la manne, où Dieu avait autrefois nourri son peuple, et surtout avec le récit de l’institution de l’Eucharistie. Ce signe marque aussi le sommet et le terme de l’activité de Jésus en Galilée ; il prépare la « confession » de Pierre et des apôtres. (Mt 16, 16ss et par ; Jn 6, 68-69). Le texte de Jean (comme celui de Lc) est apparenté au premier récit du miracle des pains que rapportent Mc et Mt : il faudrait 200 deniers pour faire face au besoin de cette foule de plus de 5000 convives ; or on ne dispose que 5 pains et 2 poissons ; pourtant après le repas, on pourra remplir 12 paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge qui étaient restés à ceux qui avaient mangé. Et ce miracle des pains est suivi, chez Jean comme en Mc et Mt, d’un miracle sur la mer (Jn 6, 16-21). Le texte de Jean contient plusieurs notations qui lui sont particulières : la mention de la Pâque (6, 4), des 5 pains d’orge (6, 9 ; 2 R 4, 42-44), de l’abondance de l’herbe à cet endroit (v. 10 ; cf. Mc 6, 39 et note TOB : cf. Ps 23 ?). En Jean, c’est Jésus lui-même qui distribue le pain et les poissons aux nombreux convives (6, 11). A noter encore la remarque de l’Evangéliste sur la connaissance de Jésus (6, 6 et note TOB). Mais ce qui frappe le lecteur de Jn, c’est surtout le grand discours qui fait suite au miracle des pains (Jn 6, 26ss). Comme le dit Jésus à ceux qui, le lendemain, sont à sa recherche, ils auraient dû voir dans ce miracle des pains le « signe » d’un don plus grand que Dieu leur offrait en sa personne : « vous me cherchez, non parce que nous avez vu des signes mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés. Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui donne la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’Homme.» (6, 26-27) Ce miracle des pains aurait dû d’abord leur rappeler le don de la manne, qui tient une si grande place dans l’Ancien Testament. En Ex 16, 1-36, la manne révélait le soin que Dieu prend pour nourrir son peuple, en lui donnant abondamment chaque jour ce qui lui est nécessaire. Selon Dt 8, 2-3 Dieu préparait ainsi son peuple à pouvoir jouir sans danger des richesses de la terre promise : « il t’a mis dans la pauvreté, afin de t’éprouver pour connaitre ce qu’il y avait dans ton cœur, et savoir si tu allais, oui ou non garder ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaitre que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. » (trad. TOB) Cf. encore Dt 8, 16. Plusieurs Psaumes chantent ce don de Dieu : ainsi Ps 78, 24-35 : « Pour les nourrir, il leur donna la manne, il leur donna le froment des cieux ; du pain des Forts l’homme se nourrit, il leur envoya des vivres à satiété. » Et la Sagesse ajoute : « C’est une nourriture d’anges que tu as donné à ton peuple et c’est un pain tout préparé que, du ciel, tu leur as fourni inlassablement. Un pain capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts. Et la substance que tu donnais manifestait ta douceur envers tes enfants et, s’accommodant au goût de celui qui la prenait, elle se changeait en ce que chacun voulait. » (Sg 16, 20-21) Il faut avoir présent à l’esprit ces textes de l’Ancien Testament et les traditions développées dans le judaïsme pour saisir le message de Jn 6 et les affirmations de Jésus où il se présente comme la nourriture que le Père nous donne : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel, c’est mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le vrai. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » (6, 32-33) Ce pain que Jésus est lui-même dans sa Parole (celui qui vient à moi, qui croit en moi : v. 34) et dans son corps livré, dans l’Eucharistie (qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle : v. 54ss). Vraiment comme le disait Dt 8, 3 « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. »

Jn 9, 1 41 : Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ?

Ce récit bien connu fait partie d’un ensemble plus large qu’on peut faire commencer à Jn 8, 12 : « Je suis le lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie » et qui se poursuit, au-delà de la confession de foi de l’aveugle, au ch. 10 avec les brebis qui connaissent la voix du pasteur (10, 1-21), pour se terminer dans l’échange de Jésus et des Juifs dans le Temple, lors de la fête de la Dédicace (10, 22-39). Les Synoptiques nous rapportent aussi plusieurs guérisons d’aveugles, qui sont des signes de l’accomplissement messianique (cf. la réponse de Jésus à la question de Jean-Baptiste : Mt 11, 5 ; Lc 7, 22). Chez Mc, nous lisons un autre récit assez particulier où Jésus guérit un aveugle en deux temps (Mc 8, 22-26) et cette « guérison difficile et progressive », est placée juste avant la confession de Pierre à Césarée (cf. note TOB sur 8, 22). Mais chez Jean seul, il s’agit de la guérison d’un aveugle de naissance. De plus, la place que l’Evangéliste a choisie pour nous la raconter (après la déclaration de Jésus en Jn 8, 12), l’ampleur qu’il consacre à ce récit, ainsi que la signification donnée par Jésus de cette cécité (9, 2-3) : autant d’éléments qui témoignent de l’importance de ce geste de Jésus. Comme pour la guérison du paralytique de Bethesda (Jn 5), celle-ci a lieu un jour de sabbat (v. 14) et elle est suivie d’un long passage où il est question de l’identité de Jésus (v. 9-34) avant que Jésus ne retrouve l’homme qu’il a guéri. Mais tout au long du chapitre, la symbolique de la lumière est présente : dans le dialogue de Jésus avec les disciples (v. 4-5), dans le parcours de l’aveugle qui « revient voyant », avant d’être reprise par Jésus (voir / ne pas voir) dans les v. 39-41. (cf. X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Evangile de Jean, tome II, p. 330-331) Mais en Jn 9, l’Evangéliste met surtout en relief le cheminement de l’aveugle, son obéissance à l’ordre donné (v. 7), puis sa découverte, par étapes, de Jésus dans les confrontations avec ceux qui lui demandent compte de sa guérison (v. 11. 17. 25. 29-33) jusqu’à la rencontre finale où il proclame sa foi au Fils de l’Homme (v. 35-38). Comme l’écrit X. LÉON-DUFOUR : « L’homme du récit est aveugle de naissance, et sa cécité ne provient pas du péché. Il ne peut donc être une figure de la condition pécheresse de l’humanité ; son état symbolise une autre ténèbre, native, celle où tout homme se trouve avant d’être éclairé par la révélation du Fils. Dans le Prologue, Jn a défini le Logos comme la lumière qui luit dans la ténèbre (1, 5) ; ici, en présentant l’aveugle-né, il semble remonter à cette origine, car l’illumination des hommes se fait au cours de l’histoire et en chacun d’eux. » (op. cit. 335-336) Ce cheminement de l’aveugle est aussi celui des croyants pour qui l’Evangile a été écrit. Par sa controverse sur le sabbat (v. 14ss), ce texte se situe au temps du ministère de Jésus (dans les années 28-30), mais la mention de l’exclusion de la synagogue (v. 22) ne peut pas être placée avant la fin du premier siècle, dans les années 90, après la réunion de Jamnia et les mesures contre les « hérétiques » (cf. note TOB sur le v. 22). Dans les v. 22-34, l’Evangéliste évoque la situation des Juifs qui croient Jésus et qui sont sommés de choisir : être disciples de Moïse ou de Jésus (v. 27-29), avec les conséquences que cela entraine très concrètement pour eux. Je voudrais citer encore une fois X. LÉON-DUFOUR : « Au terme (du récit), le miraculé ne découvre pas qui est son sauveur sans le dialogue où Jésus se révèle à lui comme le Fils de l’homme. C’est la Parole qui est le don par excellence, permettant à l’homme de passer de la ténèbre originelle à la lumière divine. Et pourtant ! si en 9, 37, « voir » a bien le sens de vision spirituelle, il garde – et même en premier lieu – le sens concret. On peut donc reconnaitre là, en même temps, un rappel de l’incarnation du Logos. » (op. cit. 347-348)

Jn 11, 1 -44 : Je suis la Résurrection et la Vie

La résurrection de Lazare est le 7ème « signe » retenu par l’Evangéliste. Les Synoptiques nous relatent d’autres résurrections opérées par Jésus : celle de la petite fille de Jaïre (Mc 5, 35-43 et par. en Mt et Lc) et celle du fils unique de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17). Mais Jean est seul à nous parler de la résurrection de Lazare, au tombeau depuis 4 jours (Jn 11, 17). Celui qui lit ce récit de Jean est intrigué par le comportement de Jésus : Jésus, nous dit l’Evangéliste, aime Lazare et ses sœurs mais quand il apprend que Lazare est malade, il attend deux jours avant de se mettre en marche (cf. 11, 5-6). Le lecteur remarque aussi les paroles que Jésus adresse aux disciples : « cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à a gloire de Dieu, car c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié. » (11, 4) et plus loin, les v. 11-15 : « Notre ami Lazare s’est endormi, mais je vais aller le réveiller. » – Les disciples lui dirent donc : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » – Et le narrateur ajoute : En fait, Jésus avait voulu parler de la mort de Lazare, alors qu’ils se figuraient, eux, qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. Jésus leur dit alors ouvertement : « Lazare est mort, et je suis heureux pour vous de ne pas avoir été là, afin que vous croyiez. » Le lecteur note aussi le peu de place donné au miracle lui-même ; l’intérêt du narrateur est davantage centré sur la rencontre de Jésus avec les sœurs du mort, et spécialement sur le dialogue avec Marthe : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. » – Jésus lui dit : » Ton frère ressuscitera. » – « Je sais, répondit-elle qu’il ressuscitera au dernier jour.» – Jésus lui dit : « Je suis la Résurrection et la Vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » – « Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde. » (11, 21-27) Pour l’Evangéliste, c’est là le cœur de son message : Jésus invite Marthe – et lecteur – à passer de sa foi juive en la résurrection à la foi chrétienne : la réanimation de Lazare devient ainsi le « signe » symbolique de la résurrection et de la vie que Jésus offre aux croyants et qu’il est dans sa personne.

Deux remarques pour conclure

Histoire ou / et symbole ?

Comme on peut le voir par ces exemples, le symbolisme tient une grand place dans Jean et il est au mis au service du message de foi que l’Evangéliste veut nous offrir. Un message qui concerne « Jésus, le fils de Joseph » (cf. Jn 6, 42), celui que les disciples ont « vu,… entendu,… ont touché de leurs mains » (cf. 1 Jn 1, 1) et en qui ils ont reconnu le Fils de Dieu. A partir de ce qu’ils avaient vu et entendu, ils ont perçu, à la lumière des évènements de Pâques, une autre réalité dont ils témoignent. Mais cette distance est aussi le fait de tout historien. Il y a toujours une distance entre un évènement et la perception qu’en a celui qui le rapporte. Aussi ce qui est le fait de tout événement de l’histoire se vérifie, d’une manière encore bien évidente, dans la révélation du mystère de Dieu en Jésus Christ. Il ne faut donc pas opposer symbole et histoire. Sans doute comme le reconnaît E. COTHENET « Jean est plus difficile à utiliser par les historiens modernes que les synoptiques » mais il ajoute : « dans l’ordre des miracles, des signes, le vraisemblable est-il la mesure nécessaire du vrai ? » (op. cit. p. 224). Et encore : « La christologie de Jean est le résultat d’une élaboration qui dépasse de beaucoup celle des synoptiques. Mais il n’y a pas un fossé infranchissable entre les deux. » (id. p. 227) Avec d’autres commentateurs, cet auteur reconnaît derrière l’Evangile de Jean une ancienne tradition indépendante, judéenne et antérieure à 66, qui mérite d’être prise en considération pour la connaissance historique de Jésus. Comme je le disais plus haut, (p.3, en citant P. GRELOT), le langage humain a besoin du symbole pour parler des choses de Dieu. Si nous nous posons la question de l’origine de cette écriture johannique, c’est vers la Bible qu’il fait d’abord nous tourner. Comme on peut le lire dans l’Introduction à Jean de la TOB : c’est avant tout « l’enracinement juif et vétérotestamentaire. (…) Si Jean cite rarement l’AT de façon explicite, (…) il utilise néanmoins de nombreuses formules de l’AT et en particulier des thèmes de la littérature sapientiale : l’eau, la nourriture céleste et la manne, le berger, la vigne, le Temple. » (La Bible, TOB, édition 2010, p. 2292). Dans son livre L’Evangile johannique et l’histoire du salut. Etudes de théologie biblique, 1968, O. CULLMANN pouvait écrire : « Avoir compris, grâce à l’Esprit de vérité que, dans les événements rapportés (par Jean), toute l’histoire passée est récapitulée et accomplie et que tout ce qui viendra en sera le déploiement, c’est là ce qui constitue la ‘conscience d’évangéliste’ de notre auteur, que nous ne trouvons avec cette intensité chez aucun autre évangéliste. » (cité par E. COTHENET, dans op. cit. p. 233)

Lire la Bible à la lumière de Vatican II

Les différences que le lecteur peut relever entre l’Evangile de Jean et les autres Evangiles ne sont plus pour lui un obstacle, mais au contraire, peuvent devenir l’occasion de découvrir la richesse de ce témoignage « tétramorphe », pour reprendre une expression que s. Irénée utilisait pour désigner les quatre Evangiles, s’il tient compte de l’enseignement de l’Eglise. En effet, comme nous l’a rappelé le concile Vatican II dans la Constitution sur la Parole de Dieu : « Puisque Dieu dans la sainte Ecriture a parlé aux hommes à la manière des hommes, il faut que l’interprète de la sainte Ecriture, pour voir clairement ce que Dieu lui-même a voulu nous communiquer, cherche avec attention ce que les hagiographes ont vraiment voulu dire et ce qu’il a plu à Dieu de faire passer par leurs paroles. » (DV no. 12) Ce passage de Dei Verbum exprime clairement ce qu’est la Parole de Dieu : elle n’est pas un message tombé du ciel ; elle n’est pas non plus le rapport neutre et sec des événements du passé. Elle une Parole de Dieu, qui nous est donnée dans une parole humaine véritable, celle de l’auteur humain avec ses mots, ses images, sa compréhension. Et le document de la Commission Biblique Pontificale de 1964, Sancta Mater Ecclesia, que j’ai cité plus haut (en p. 2), précisait encore davantage tout le travail de ceux qui ont rédigé les Evangiles, en soulignant leur souci de transmettre fidèlement le message de la manière qui correspondait le mieux aux conditions des auditeurs et au but qu’il s’était fixé. Ce document (Sancta Mater Ecclesia) ajoutait : « Puisque le sens d’un énoncé dépend du contexte, les Evangélistes, livrant les paroles et les gestes du Sauveur, les interprétèrent pour l’utilité des lecteurs, l’un dans tel contexte, l’autre dans tel autre. C’est pourquoi l’exégète (le lecteur) doit rechercher quelle est l’intention de l’Evangéliste quand il rapporte une parole ou un fait d’une certaine manière et les place dans un certain contexte. Il n’est pas contraire à la vérité d’un récit que les Evangélistes rapportent les paroles et les actes du Seigneur de façons diverses et qu’ils expriment ses déclarations non ad litteram, mais tout en conservant leur signification, de manière variées. » C’est en prenant au sérieux ces textes de l’Eglise que nous pourrons mieux comprendre le message des Evangiles et particulièrement celui du Quatrième Evangéliste.