0. Le cadre géographique
Celui qui essaie de situer le peuple de la Bible est frappé par le peu de place qu’il tient, aussi bien au point de vue géographique que politique.
Insignifiance et grandeur d’Israël
Pour le géographe, la terre d’Israël est une minuscule bande de terre mal irriguée entre la mer Méditerranée et le désert.
Pour l’historien, Israël est un tout petit peuple, ou mieux, un groupe de tribus, qui a réussi à se donner une certaine unité et grandeur pendant moins d’un siècle autour de la forte personnalité de David et sous son successeur.
Cette petitesse d’Israël prend encore davantage de relief quand on le compare avec les grands empires qui ont vu le jour à la même époque dans ce que nous appelons le Proche-Orient (ou Moyen-Orient), en particulier en Egypte et en Mésopotamie, avec leurs civilisations si développées.
Et pourtant, si l’on dresse aujourd’hui un bilan de ce qui reste des uns et de l’autre – je ne veux pas parler des ruines et des trésors mis à jour par l’archéologie -, la supériorité d’Israël est évidente :
– personne aujourd’hui ne se prétend le descendant d’un pharaon ou d’une dynastie sumérienne, assyrienne ou babylonienne,
– personne ne professe la foi en Marduk, Baal, Râ ou Amon.
Mais des millions d’hommes se réclament d’Abraham (juifs, chrétiens, musulmans), récitent encore les prière de la Bible, reconnaissent en YHWH, le Dieu unique de leur foi. Comment expliquer un tel phénomène ?
La réponse, nous la trouvons formulée dans Dt 7,7 : c’est Dieu qui a choisi librement un peuple insignifiant pour en faire l’instrument imparfait et souvent rebelle (cf Dt 9,5) de son dessein de salut, de sa révélation aux hommes. Israël est ainsi un peuple témoin de Dieu parmi tous les peuples de la terre.
La réflexion théologique peut découvrir ici un premier élément de ce que l’on pourrait appeler une constante de “la politique de l’Incarnation” : Dieu ne s’impose pas par la force et la grandeur humaines; il entre en relation avec l’homme en respectant sa liberté.
1) Israël au carrefour des cultures
La petitesse d’Israël, comme sa situation géographique, ont eu des conséquences importantes sur le déroulement de son histoire et, par là, sur le développement de la Révélation.
Ce petit peuple a été profondément mêlé à l’histoire de ses grands voisins. Non seulement les périodes de grandeur ou de vicissitudes d’Israël ont été fonction du jeu de forces des grands royaumes qui l’entouraient, mais même son message, la révélation divine dont il était porteur, sa pensée religieuse, ont été influencés, positivement et négativement (choix, filtrage, réaction) par les civilisations que ses ancêtres ont connues et par celles que le peuple a rencontrées au cours de son histoire.
Il est donc nécessaire, si nous voulons comprendre le message que Dieu a transmis par ce peuple qu’il s’est choisi, de connaître aussi bien que possible le milieu qui l’a vu naître et qui l’a formé. D’où l’invitation du pape Pie XII :
“Qu’ils n’omettent ni l’archéologie, ni l’histoire ancienne des faits et des littératures, ni quoi que ce soit qui permette de mieux connaître la pensée des écrivains anciens, leur manière de penser, de s’exprimer et d’écrire.” (Divino afflante Spritu, no. 39)
C’est pourquoi nous parlerons d’abord du cadre dans lequel s’est déroulée la révélation de Dieu, ce que l’on a nommé le “Croissant fertile”, formé de la Mésopotamie, du pays de Canaan et de l’Égypte.
2) le cadre géographique : cf. Dt 26, 5-10; Jos 24, 2-13
La Mésopotamie et l’Égypte sont deux grands pays, commandés tous les deux par des fleuves importants, qui peuvent être sources de richesses et de vie, à condition d’être bien contrôlés; d’où centralisation, pouvoir fort et unifié.
Canaan, au contraire, est un tout petit pays, morcelé. Dans l’antiquité, il est le lieu de passage obligé, pour les marchands comme pour les armées, entre l’Asie et l’Afrique. C’est donc un lieu d’échange.
La MÉSOPOTAMIE est formée par le bassin de l’Euphrate et du Tigre; c’est une vaste plaine inondable et fertile où se sont succédées de nombreuses civilisations, au moins depuis le 4e millénaire (± la superficie de la France).
au nord : ASSYRIE : Assur, Nouzi, Ninive
au sud : BABYLONIE : Akkad, Babylone
Lagash, Ourouk, Sumer
L’ÉGYPTE : c’est la vallée du Nil, une oasis étroite de plus de 1000 km de long avec, sur chaque rive, quelques km de terres cultivables; tout au nord, le Delta forme un triangle de 200 km de côté. La fertilité du pays dépend totalement du fleuve et de son cours régulier (inondation).
au nord : BASSE ÉGYPTE : Memphis et les villes du Delta
au sud : HAUTE ÉGYPTE : Thèbes, Louksor, Karnak
LE PAYS DE CANAAN : c’est la côte de Syrie-Palestine et son arrière-pays. Sur la côte, spécialement dans le nord, on trouve de bons ports naturels, par où passaient les échanges est-ouest alors que les voies terrestres, le long de la Méditerranée, conduisaient de l’Égypte au nord de la Mésopotamie.
Les habitants de cette côte sont appelés Phéniciens (phoinikoi ) par les Grecs et Cananéens par la Bible. Les deux noms semblent avoir un rapport avec la pourpre, que l’on tirait du murex et dont on faisait le commerce.
Le nom de PALESTINE est beaucoup plus récent; il vient des Philistins et il a été imposé par les Romains après la Deuxième Guerre Juive (132-135 après J.-C.) : Syria Palaestina.
Dans ce carrefour vit une population très mélangée (cf les nombreuses invasions qui se sont succédées sur cette bande de terre au cours des siècles), finalement unie dans une civilisation de type agricole et organisée en petites cités-états, avec des groupes de nomades vivant jusqu’aux portes des villes. Cf aussi Dt 7,1 +.
Dans un article publié dans la Revue Biblique en 1965, le P. de VAUX écrivait :
“Nous ne pourrons jamais écrire une biographie d’Abraham, d’Isaac ou de Jacob, ni même vraiment une histoire de la période patriarcale. Les éléments nécessaires feront toujours défaut et, ceux que nous possédons dans la Bible, nous indiquent que les origines et la formation du peuple d’Israël furent extrêmement complexes. La Bible ne donne pas une leçon d’histoire […] elle retrace les débuts de notre salut”(R. de VAUX, Les patriarches hébreux et l’histoire, in RB 72 (1965), p. 28)
Il faudra nous souvenir de ces remarques, qui dans une certaine mesure concernent, non seulement la période patriarcale mais encore toute la suite de l’histoire biblique, puisque
– notre documentation sera souvent très limitée;
– les documents que nous possédons, pour les périodes anciennes, sont écrits
plusieurs siècles après les événements dont ils parlent;
– enfin, la Bible, qui est notre principale source d’information, a été écrite dans
une perspective bien différente de celle d’un historien, spécialement d’un
historien moderne.
Ces remarques ne doivent pourtant pas signifier que ce que la Bible nous rapporte manque totalement de valeur au point de vue historique. Il n’est pas rare que des découvertes de l’archéologie et de l’histoire des religions viennent confirmer les textes bibliques.
Mais l’optique dans laquelle la Bible a été écrite et composée n’est pas celle d’un historien moderne. Dans la Bible, les faits et les événements sont vus à la lumière de la foi en un Dieu personnel unique, un Dieu qui est intervenu dans l’histoire d’Israël et du monde.
L’histoire dans la Bible
La Bible nous donne une présentation, à première lecture, très bien construite de cette période de l’histoire du peuple. Nous rencontrons d’abord les ancêtres, Abraham, Isaac, Jacob; on nous raconte ensuite comment ils sont amenés à descendre en Égypte, puis à travers quelles circonstances, ils quittent l’Égypte pour remonter vers le pays de Canaan où ils s’installent, en attendant de s’organiser en un royaume, à l’époque de David. Ce royaume éclate quelques années plus tard en deux états (Israël et Juda) qui disparaîtront respectivement sous les poussées des Assyriens (721) et des Babyloniens (587).
Tout au long de ces chapitres, il est question des douze tribus d’Israël (provenant des douze fils de Jacob). Mais pour l’historien, l’histoire du peuple, d’Israël – et surtout la partie antérieure à la royauté – est beaucoup plus complexe et nébuleuse.
Un récit des origines
“Qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe, nul n’est le témoin direct de sa naissance. Seule une nation déjà constituée peut entreprendre la relecture du passé et produire son récit fondateur”(D. Noël, in CE 99, 5)
La Bible n’échappe pas à la règle. Quand Israël nous parle de ses origines, il le fait comme les autres nations. Tout en nous donnant un récit presque continu, la Bible vise bien autre chose qu’une simple relation du passé. De cela, nous avons pris conscience progressivement, par étapes.
• Depuis longtemps, il est devenu évident pour la grande majorité des lecteurs de la Bible que les chapitres de Gn 1-11 forment un ensemble à part; il n’est pas question ici d’histoire. Ces textes ne nous renseignent pas sur ce qui se serait passé à l’origine de l’univers ou de l’humanité.
• On avait pris l’habitude de commencer l’histoire d’Israël par les Patriarches que l’on plaçait au début du deuxième millénaire, tout en étant conscient que les textes qui nous en parlaient (Gn 12-50) avaient été écrits, dans le meilleur des cas, environ mille ans après l’époque que l’on attribuait aux Patriarches. Pouvait-on, dans ces conditions, parler d’histoire ?
• Plus récemment, certains proposaient de commencer l’histoire d’Israël avec Moïse (cf. “Pierres Vivantes” dans sa première édition).
• Aujourd’hui les historiens font remarquer que jusqu’aux premiers rois inclus, la documentation sur le passé d’Israël ne se trouve pratiquement que dans la Bible. Il faut donc étudier les textes bibliques, chercher à bien les comprendre et essayer de leur donner une date, toutes choses qui ne sont ni évidentes, ni simples.
La présentation biblique de la période patriarcale
Dans la Bible, les textes qui concernent ce que nous appelons ici la “période patriarcale” se lisent en Gn 12-50. Même une lecture relativement rapide de ces chapitres nous montre que ces récits nous renseignent assez peu sur cette période de l’histoire d’Israël.
Ces chapitres forment un ensemble de trois cycles de récits autour des personnages d’Abraham (Gn 12, 1 – 25, 18), de Jacob (Gn 25, 19 – 36, 43) et de Joseph (Gn 37, 1 – 50, 26). Ces personnages nous sont présentés comme étant les descendants d’une même famille.
Les événement relatés dans ces chapitres concernent souvent des mariages, des naissances, des décès. Voici ce qu’écrivait le P. Chiffelot en 1966 (dans La Bible et son Message, no. 9, p-8-9)
“L’histoire de la Genèse est une histoire de famille (…) Des faits qu’elle nous rapporte, aucun ne serait jugé digne de figurer dans nos journaux; aucun événement notable (…) Ce premier siècle de l’histoire d’Israël se ramène à la vie privée des ancêtres.”
Il ajoutait que c’était la seule manière de raconter l’histoire d’un tel groupe :
“la vie nomade ou semi-nomade a ses lois; elle impose ses structures sociales que nous découvrons dans la Bible, mais encore chez les nomades d’aujourd’hui. La première loi est celle-ci : impossible au désert de vivre seul; impossible aussi de vivre en masse; il faut une unité sociale assez restreinte pour rester mobile, mais assez forte pour assurer sa propre sécurité : cette unité est la tribu.
Or le lien de la tribu, c’est le lien familial, le lien du sang, réel ou supposé. La tribu est un groupe de frères, de familles qui considèrent qu’elles descendent d’un ancêtre commun (…) Tout ceci nous aide à comprendre les histoires de famille, les généalogies de la la Genèse ainsi que l’attachement d’Israël à ses traditions de famille.”
Ces chapitres de Gn 12-50 forment une histoire populaire; ils s’attardent aux détails pittoresques, aux anecdotes personnelles (cf. Gn 12, 10s; 13, 5), aux explications étymologiques (cf. Gn 19, 30 +; 25, 26 +) mais ne montrent aucun souci pour rattacher ces événements à l’histoire générale.
C’est aussi une histoire religieuse : Dieu est présent explicitement à chaque tournant de cette histoire.
Il est donc évident pour le lecteur que ces chapitres où la Bible nous parle des ancêtres, est bien autre chose qu’une simple relation du passé.
Gn 12 – 50 et l’histoire
Dès les débuts de l’étude critiques des récits patriarcaux, la question s’est posée sur la possibilité d’utiliser ces textes pour faire l’histoire de cette période de la vie des ancêtres d’Israël.
Voici la position de J. WELLHAUSEN en 1886 :
• “On ne peut gagner aucune connaissance historique sur les Patriarches, mais seulement sur le temps où les narrations qui les concernent se sont formées dans le peuple israélite; cette époque postérieure, avec ses caractéristiques internes et externes, a été inconsciemment projetée sur l’antiquité la plus reculée et s’y reflète comme un fantôme transfiguré.”(cité par D. Noël dans CE 99, p. 58)
Il écrivait, un peu plus tard, en 1894 :
• “Les récits des Patriarches dans la Genèse se rattachent à des conditions ethnologiques et à des institutions cultuelles de l’époque monarchique et en font remonter l’origine à une préhistoire idéale, dans laquelle elles ne font en réalité que se refléter.” (id. p. 58)
L’école américaine, représentée par W. F. ALBRIGHT, suivi par J. BRIGHT était plus confiante : selon eux, les découvertes archéologiques et les documents extra-bibliques connus pourraient confirmer sur certains points les récits de la Bible. Mais, selon Bright lui-même :
• “Il est impossible d’écrire une histoire des origines d’Israël au sens propre: Même si nous acceptons l’exposé de la Bible tel qu’il se présente, il est impossible de reconstituer l’histoire des débuts d’Israël. Il reste beaucoup trop d’inconnu.” (dans A History of Israel, 1959, p. 64)
L’HISTOIRE ANCIENNE D’ISRAËL de R. de VAUX (1971) cherchait à faire la synthèse entre les études critiques sur les textes bibliques et les découvertes de l’archéologie. Mais l’auteur concluait son introduction, à la partie proprement historique de son ouvrage, par ces mots :
• “Mais l’historien sait au départ qu’il ne pourra écrire une “histoire” de ces origines : ses sources sont trop peu nombreuses et trop incertaines.” (R. de Vaux, Histoire ancienne d’Israël, 1971, p. 154)
Déjà dans les travaux préparatoires, pour son Histoire Ancienne d’Israël, R. de VAUX nous avait averti des limites qui s’imposaient ici à tout historien : voir le texte que nous avons cité au début de ce chapitre (ci-dessus en p. 4).
Les études sur les Patriarches ont été à nouveau au premier plan à partir de 1974 : T. L. THOMSON (1974); J. Van SETERS (1975) et A. De PURY (1975).
A la même époque, la théorie documentaire des sources du Pentateuque a été sérieusement mise en question (réduction du contenu pré-exilique de J; importance du Dt et des écrits post-exiliques).
Cependant certains critiques maintiennent toujours “l’époque royale comme Sitz im Leben pour l’élaboration première d’un discours sur les origines d’Israël et de Juda à partir de traditions ancestrales conservées dans les sanctuaires de Béthel, Sichem, Pénouel, Hébron et Béershéba”.(D. Noël, dans CE 99, p. 59)
L’étude d’Os 12 par A. de Pury nous invite à voir dans ce passage d’Osée “l’attestation la plus ancienne d’une histoire déjà formée du patriarche Jacob ainsi que celle d’une version prophétique de l’Exode, tenue pour concurrente de la première.”(id. p. 59)
Enfin si l’on en croit la récente publication de I. FINKELSTEIN et N. A. SILBERMAN , (dans La Bible dévoilée, Bayard 2002) qui se basent principalement sur l’archéologie, le dernier mot sur cette tranche de l’histoire d’Israël n’est pas prêt d’être dit.
Quelques points à retenir aujourd’hui sur ce problème :
– l’attestation par Os 12 (et donc au 8ème siècle) d’une forme de l’histoire de Jacob.
– le fait que les noms des ancêtres est lié dans les textes de Gn à des lieux précis : Abraham est à Hébron; Isaac à Béershéba; Jacob dans la montagne centrale et en Transjordanie.
– l’étude des noms d’Abraham et Jacob en dehors des textes de la Genèse montre que le nom de Jacob est beaucoup plus attesté que celui d’Abraham.(voir D. Noël, CE 99, p.60-61)
– il semble que Jacob a été longtemps considéré comme le seul patriarche parce qu’il incarnait le royaume d’Israël (10 tribus sur 12). Abraham ne devrait sa première place (dans la triade : Abraham-Isaac-Jacob) qu’au fait qu’il est le patriarche d’Hébron, la première capitale de David (2 S 5, 1-5) et à l’importance qu’a pris royaume de Juda après la disparition du royaume d’Israël. Ce “montage” ne pourrait donc pas apparaître avant la destruction de Samarie en 722. (cf. D. Noël, op. cit. p. 61-62; voir aussi A Lemaire, La Protohistoire d’Israël, p. 262-263)
II. Moïse et l’alliance – vers 1250
A l’origine de l’histoire biblique, il y a un personnage qui marque de façon décisive l’histoire d’un groupe d’homme et un événement qui est au coeur de la foi d’Israël :
– le personnage est Moïse, “Rabbenu” comme le disent encore les Juifs;
– l’événement est l’Exode, la libération d’Égypte et l’alliance avec Dieu qui est le but de
cette libération.
1) Ce que nous en dit la Bible
Le nom de Moïse revient plus de 700 fois entre Ex 2 et Jos 24. Malgré cela, nous n’avons que peu d’informations biographiques sur cet homme. De plus, les textes qui nous en parlent sont de plusieurs siècles postérieurs à Moïse. Mais comme le notait W.F. ALBRIGHT :
“les récits de la vie de Moïse se transmirent par oral pendant près de 400 ans avant d’être fixés : ils doivent donc avoir une valeur historique au moins aussi grande que les récits sur Zoroastre ou Bouddha, qui ont été transmis oralement bien plus longtemps”. (W.F. Albright, From the Stone Age to Christianity, p. 252)
Ces récits sont conservés dans les traditions du Pentateuque :
“son portait, plus fruste chez le Yahviste (J), plus pathétique chez l’Elohiste (E) et le Deutéronome, plus solennel chez le Sacerdotal (P), est comme la même photographie prise sous des angles différents” comme l’écrivait A. GELIN (dans Cahiers sioniens, Moïse, l’homme de l’alliance, Desclée 1955, p. 31)
Même si la question des traditions du Pentateuque est à nouveau très discutée, il reste que les textes bibliques témoignent, avec des accents différents, de l’importance reconnue à cet homme dans les siècles postérieurs.
D’après la Bible, Moïse naît au pays de Goshen (cf.Gn 47, 1ss), dans une période sombre de l’histoire de son peuple (Ex 2). Son nom lui viendrait de son “sauvetage” (Ex 2,10 +). A la suite d’un meurtre pour défendre “un de ses frères ” (Ex 2,11ss), il doit fuir et il part au pays de Madian (Ex 2,15). Une rencontre près d’un puits l’introduit dans un clan; il s’établit là et fonde une famille (Ex 2,16-22).
Sa vocation est rapportée en Ex 3 : un schéma classique de vocation (cf. Is 6; Jr 1) où Dieu manifeste sa grandeur et donne une mission à Moïse. A noter cependant le caractère personnel du Dieu qui se révèle à Moïse : il voit, il entend, il donne son Nom (Ex 3, 7ss. 14).
Cette mission consiste à faire sortir le peuple de l’Égypte pour servir Dieu par un sacrifice (Ex 3,12; 5,3; 8,4.21…). Devant la résistance de Pharaon, cette mission tourne à l’épreuve de force entre Dieu et le roi d’Égypte, Moïse servant d’intermédiaire : ce sont les “plaies” (voir en BJ la note sur Ex 7, 8 +).
La sortie est accompagnée d’une délivrance merveilleuse (Ex 13, 17 – 14, 31) et Moïse peut conduire le peuple à l’Alliance, (Ex 19 – 24) qui est le “but théologique” de la sortie d’Égypte.
Puis viennent les années du désert avec le peuple incrédule et, finalement la mort de Moïse en face de la terre où il ne pourra lui-même entrer (cf. Dt 34,5ss).
La tradition postérieure répartira la vie de Moïse en trois étapes de 40 années chacune : Ac 7, 23.30.43 ; cf. Ex 2, 11; 7, 7; Dt 31, 2.
Comme déjà dit, les textes bibliques ne nous donnent guère de renseignements qui permettraient de faire un portrait psychologique de Moïse. Mais voici quelques traits que la Bible se plaît à souligner en lui : son “portrait biblique” :
– Moïse est un humble (anaw ) : Nb 12, 3.6-8;
– Moïse est le prophète-type : Nb 12, 6-8; Dt 18, 15ss et la note sur v.18.
– Moïse est l’intercesseur du peuple : Ex 5,22-23; 32,11 +; cf. Nb 11,10.
2) La comparaison avec les données de l’histoire
“Les mouvements les plus profonds et les plus durables dans nos sociétés humaines commencent petitement, et l’initiateur qui en a donné le première impulsion et dont se réclament les disciples, est souvent un personnage tout adonné à sa tâche, dont les contemporains n’ont guère entendu parler.” (H. Cazelles, dans Cahiers sioniens, Moïse, l’homme de l’alliance, p. 11)
C’est ce qui se vérifie pour Moïse. Aucune inscription, ni en Syrie, ni en Palestine, aucun texte égyptien sur la pierre ou sur papyrus ne nous ont conservé son nom ou un fait de sa vie : “Il est le chef d’un peuple encore à l’écart de la grande histoire et de la civilisation” écrit aussi H. CAZELLES.(ibid)
Dans la tradition juive, en dehors de la Bible, les renseignements sont nombreux mais tardifs (dans le judaïsme hellénisé).
Mais le nom de Moïse est probablement un nom égyptien : cf. les notes en BJ ou TOB sur Ex 2,10; cf. aussi R. de VAUX.(dans Histoire ancienne d’Israël, p. 312)
Le récit de l’enfance de Moïse peut être comparé avec celui de Sargon d’Akkad, le grand héros sémitique du IIIème millénaire; sa fuite de Moïse au pays de Madian peut être rapprochée de l’histoire de Sinouhé (cf Supp. CE 69, p.9ss).
La présence d’une population sémite en Égypte est bien attestée pour le Moyen-Empire (1560-1070); on trouve des captifs de guerre chargés de travaux comme les vendanges, les constructions, les mines, mais aussi comme fonctionnaires, ayant reçu pour cela une formation spéciale :
“On peut estimer qu’ il s’agissait de les préparer à des fonctions officielles. L’Égypte de la XVIII e et XIX e dynastie avait trop de contacts avec Canaan pour ne pas avoir besoin de scribes connaissant ce pays et ses traditions.”(H. Cazelles, art. cit. p. 15)
On peut donc fort bien imaginer Moïse ayant suivi une carrière de scribe (cf Ex 2,10 et Ac 7,22), ce qui expliquerait sa formation et la connaissance de l’Égypte nécessaire à sa mission.
Sur la présence des Sémites en Égypte à cette époque, on peut aussi consulter A. LEMAIRE.(La Protohistoire d’Israël, p. 268-269; sur ce point, cf. aussi le Supp. CE 69, p. 37)
Autre point de contact intéressant : la pensée d’Aménophis IV et son hymne à ATON (cf. F. Michaeli, textes de la Bible et l’Ancien Orient, 1961, p. 99ss)
La sortie d’Égypte pourrait être placée vers 1250-1230, sous Ramsès II ou sous Merneptah : cf. l’Inscription de l’an 5, où l’on trouve pour la première fois le nom d’Israël, en dehors de la Bible (cf. Supp. CE 69, p. 36-37)
Au début du 13e siècle, l’Égypte entreprend des travaux pour fortifier l’est du Delta contre les incursions étrangères. Il était tout indiqué de prendre la main d’oeuvre sur place. Mais des pasteurs semi-nomades pouvaient se sentir assez peu faits pour de tels travaux, ce qui expliquerait leur fuite.(cf. de Vaux, Histoire, p. 352)
La Bible parle de l’Exode, tantôt comme une expulsion (Ex 12,31), tantôt comme une fuite (Ex 14,5) : les textes conservent peut-être le souvenir de plusieurs sorties d’Égypte, comme il y eut probablement plusieurs descentes en Égypte.
“… de même qu’il y eut plusieurs entrées en Égypte, il put y avoir plusieurs exodes: des groupes ont été chassés; d’autres se sont enfuis. Ces deux exodes pourraient alors expliquer la dualité des traditions qui vont suivre: la route du nord et la route du sud pour la sortie de l’Égypte, la tradition de Cadès et celle du Sinaï, la conquête par le sud et la conquête à partir de la Transjordanie. La tradition de l’exode-expulsion se continuerait par la sortie par le nord, Cadès et l’entrée dans la terre par le sud; la tradition de l’exode-fuite se continuerait par la sortie par l’est, la poursuite et le miracle de la mer, le Sinaï et la conquête par la Transjordanie.”(de Vaux, Histoire, p. 353)
Mais la sortie, à laquelle est attachée le nom de Moïse, est vraisemblablement un exode-fuite. D’après Ex 13,17, au lieu de prendre “la route des Philistins ” (un anachronisme), ils partent vers le désert, évitant ainsi la route commerciale et militaire qui suit le bord de la Méditerranée et qui était gardée (cf. le mur du Prince). Nous les retrouvons plus tard au Sinaï, puis à Cadès, avant la marche qui doit les conduire jusqu’aux steppes de Moab (Nb 36).
Sur le nombre des fuyards, la Bible donne les chiffres de “600.000 hommes sans compter les familles” en Ex 12,37 et de 603.550 hommes en Nb 1,46. Voir sur ce texte la note de TOB :
“…si un millier (élef) désigne un contingent de quelques dizaines d’hommes, on obtient un total de 5.500 hommes, ce qui à l’époque de la sortie d’Égypte aurait constitué une armée déjà importante.”
Selon A. LEMAIRE “le nombre des Benê Israël du groupe de Moïse sortant d’Égypte ne pouvait pas être très élevé, étant donné l’aridité des régions qu’il eut à traverser et où il faisait éventuellement paître ses troupeaux : tout au plus de l’ordre d’un millier” (dans Protohistoire, p. 278)
Le même auteur pense que le groupe pénétrant en Israël, après le temps du désert, pouvait compter de 2000 à 4000 personnes. (op. cit. p.280)
Sur la date de la pénétration en Canaan, voir aussi A. LEMAIRE (op. cit. p. 257-258)
En conclusion : ce que la Bible nous dit de Moïse et de la sortie d’Égypte peut s’intégrer assez naturellement dans ce que nous connaissons par ailleurs de l’Égypte et de Canaan à cette époque, à condition, bien sûr, de ne pas prendre tous les détails de la Bible pour des renseignements historiques, de respecter les différents genres littéraires et de tenir compte de la complexité des traditions réunies actuellement dans le récit qu’en fait la Bible.
3) l’oeuvre de Moïse
“Moïse, législateur et fondateur du peuple, cela ne fait guère de doute pour l’historien habitué aux textes sémitiques.” (H. Cazelles, art. cit. p. 26)
Moïse se trouve à l’origine de toute la vie d’Israël et, par la suite, du christianisme. Mais il est très difficile, et parfois même impossible, pour nous aujourd’hui, de préciser ce qui provient directement de lui et ce qui a été ajouté à son oeuvre dans les siècles suivants. Cependant on peut dire que
– politiquement son oeuvre principale est la libération d’Égypte : l’Exode est tellement lié à sa personne qu’on ne peut l’en séparer.
– au point de vue religieux, l’apport de Moïse est plus difficile à préciser. C’est tout le problème de l’originalité de la religion d’Israël :
“C’est à l’époque de Moïse que Yahvé a été reconnu comme le Dieu qui a sauvé le peuple lors de l’exode et qui a établi des relations spéciales avec ce peuple au Sinaï. Moïse a certainement eu une part essentielle aux origines de la religion d’Israël.” (Histoire, p. 423)
Mais on ne saurait pourtant parler, à cette époque, de monothéisme. R. de VAUX l’exprimait clairement :
“Si, comme le dit Albright, ‘le terme monothéiste signifie quelqu’un qui enseigne l’existence d’un seul Dieu’, Moïse n’était pas monothéiste, car nous n’avons aucun indice qu’il ait professé la croyance en un Dieu unique Nous avons plutôt des indications positives que telle n’était pas la doctrine du Yahvisme primitif (cf. Ex 15,11; 118,11).(id. p. 431)
– au point de vue législatif, Moïse est à l’origine de la législation complexe du Code de l’Alliance : Ex 20,24 -23,14 (Cf. Introduction au Pentateuque en BJ : Législation). Il est vrai que ce système de droit a de nombreux contacts avec d’autres codes connus de l’antiquité et spécialement avec le Code d’Hammourabi. Mais il est difficile de dire ce qui pourrait remonter à l’époque de Moïse. Citons encore R de VAUX :
“la tradition plus récente a rattaché à ces événements et à la personne de Moïse toute la législation civile et religieuse d’Israël et toute son organisation cultuelle. La critique littéraire et historique rend évident qu’on a ainsi reporté, par couches successives, à l’époque de Moïse des développements qui lui sont très postérieurs. Mais ces accroissements se sont faits autour d’un noyau existant et le processus devient inexplicable si l’on n’accepte pas comme historiquement fondé ce que disent les traditions les plus anciennes.”(id. p. 423)
Regard actuel sur Moïse
Jusqu’ici, nous avons suivi H. Cazelles, R. de Vaux et leur regard sur Moïse et l’histoire. Mais la remise en cause des traditions du Pentateuque (depuis les années 1974-75) a aussi ses retombées sur l’histoire de Moïse. Voici quelques remarques de J. -L. SKA dans son livre paru en 1999 :
“Selon toute probabilité, Moïse est devenu un personnage-clé de l’histoire d’Israël à l’époque postexilique, après la disparition de la monarchie et lorsque le peuple dut se rendre à l’amère évidence qu’il n’y avait aucune possibilité de la restaurer, du moins pour l’immédiat. Pour contourner la difficulté, Israël chercha dans la tradition un fondement plus solide que la monarchie, quelque chose de plus ancien, et qui avait survécu à la catastrophe de l’exil. Ce fondement il le trouva (ou il alla le chercher)dans la tradition mosaïque selon laquelle Israël était né et avait reçu les institutions religieuses et civiles, au moins en partie, avant la monarchie. Pour cette raison, Israël pouvait continuer d’exister sans la monarchie, et même après la monarchie. Moïse était donc indispensable à l’existence d’Israël; David, par exemple, ne l’était pas.
Cette observation a une conséquence immédiate en ce qui concerne la figure biblique de Moïse, Le portrait de ce personnage est une oeuvre essentiellement postexilique et la tâche de l’historien qui veut déterminer quels traits sont les plus anciens et remontent – peut-être – à la figue du Moïse historique, est plus qu’ardue.(J.-L. Ska, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et le récit biblique, coll. Lessius, Bruxelles 2001, p. 48-49)
“Répétons, en conclusion, que Moïse est une figure-clé de l’Ancien Testament parce que les institutions mosaïques permettent à l’Israël postexilique de vivre sans monarchie et sans autonomie politique. La situation d’Israël dans le désert, sous la conduite de Moïse, est emblématique : l’Israël postexilique vit dans une situation semblable. L’intention fondamentale des textes est de transmettre ce message essentiel et non d’esquisser le portrait de Moïse ou de reconstruire le passé révolu des ancêtres d’Israël dans le désert. Il est loin d’être exclus qu’un personnage du nom de Moïse ait vécu dans le désert du Néguev et y ait exercé une activité religieuse et juridique importante. Il est également loin d’être exclu que cette activité ait eu un impact sur les populations locales qui, d’une manière ou d’une autre, ont fini par faire partie du peuple d’Israël dont parle la Bible. Mais il serait hasardeux d’en dire plus ».(Ska, p. 63-64; cf. aussi p. 65-67)
I I I. L’ e n t r é e d a n s l a T e r r e (entre 1220 et 1050)
Avec Moïse, nous étions arrivés jusqu’au moment où Israël va franchir le Jourdain pour entrer dans la Terre. Dans la Bible, cette entrée en Canaan nous est rapportée dans les livres de Josué et des Juges.
1) Les récits de la Bible : Jos et Jg
La première partie du Livre de Josué (Jos 1-12) nous raconte l’entrée dans la Terre de Canaan; dans une deuxième partie (Jos 13 – 21), il est question du partage de la terre entre les différentes tribus; enfin les derniers chapitres (Jos 22-24) nous parlent de la fin de la carrière de Josué.
Telle qu’elle est présentée en Jos 1-12, la conquête du pays est idéalisée et simplifié : les douze tribus d’Israël, sous le commandement de Josué, s’emparent successivement
– du centre du pays (Jéricho, Aï; pacte avec Gabaon) : Jos 2-8
– du sud du pays : Jos 9-10
– du nord du pays : Jos
Le récit se présente donc comme la continuation de l’épopée de la sortie d’Égypte : “Le Seigneur est avec Josué comme il l’avait été avec Moïse , cf. Jos 11,15.23.
Cependant le texte a conservé des notes discordantes dans ce tableau : ainsi Jos 13,1-3; 17, 12-18 qui nous montrent que le pays n’est pas entièrement conquis; Jos 14, 6-13; 15, 13-19 nous parlent de la conquête de certaines parties du pays par des tribus isolées.
D’autre part, la mention des différents lieux de culte en Jos 4,19 + et 14,6 + (Gilgal), en 18,1 + (Silo), et en 24, 1 + (Sichem) pourrait témoigner des étapes d’une pénétration progressive dans le pays.
Si l’on ajoute encore que, selon le témoignage explicite de la Bible (2 S 5,6ss), Jérusalem est restée aux mains des Jébuséens jusqu’à l’époque de David – et ce n’est sûrement pas un cas isolé -, on admettra facilement que le livre de Josué simplifie cette tranche de l’histoire du peuple. Ou bien alors, il se place au point de vue d’Israël à une autre époque de son histoire, en présentant le peuple en possession de la Terre et la promesse de Dieu réalisée.
Le Livre des Juges nous raconte ce que fut la vie en Canaan avant l’époque royale. Après une introduction (Jg 1,1-2,5), nous trouvons le corps du livre (Jg 2,6 – 16,31), puis deux appendices (Jg 17-19).
Dans ce livre, nous lisons des épisodes de la vie des tribus en lutte avec des ennemis du dedans et du dehors, et même en lutte entre elles. Les tribus combattent séparément ou parfois par groupes, sous la conduite d’hommes charismatiques envoyés par Dieu (cf. Jg 3,10 +). Ces récits sont actuellement placés dans un cadre théologique (“théologie ondulatoire”: péché-malheur-conversion-salut) aisément repérable.
De toute manière, la présentation du peuple, telle qu’elle apparaît dans le livre des Juges est difficilement conciliable avec celle du livre de Josué.
2) Les récits de la Bible et l’histoire
Nous allons relire les données de Jos et Jg en les confrontant aux connaissances extra-bibliques que nous avons aujourd’hui (archéologie, textes égyptiens, etc.). Mais voici d’abord une remarque générale de R. de VAUX :
“Pour comprendre l’installation des Israélites en Palestine, il faut la replacer dans le cadre de l’histoire générale. C’est une période très troublée au cours de laquelle la face de l’Orient a complètement changé. Le second millénaire avant notre ère avait été caractérisé jusque-là par une lutte entre les grandes puissances, Egypte, Hittites, Mitanni, Assyrie, qui avait abouti à un certain équilibre par le traité de paix entre Ramsès II et Hattusil III (en 1269). L’Egypte et les Hittites se partageaient l’influence en Syrie-Palestine. La période que nous allons présenter a vu la fin de la domination égyptienne en Syrie, la ruine définitive de l’empire hittite, l’invasion des Peuples de la mer, l’expansion militaire de l’Assyrie vers l’ouest, puis son retrait.
A la fin de la période, l’image de la Syrie-Palestine est devenue nouvelle : royaumes néo-hittites en Syrie du nord, états araméens en Syrie centrale et en Transjordanie, naissance de la puissance maritime des Phéniciens, Philistins et Israélites installés en Palestine.(Hisoire, p. 455)
D’autre part, les ancêtres d’Israël ne sont pas les seuls à profiter de ce bouleversement pour s’installer dans la région : à la même époque, Moab, Ammon, Edom font de même sur la rive est du Jourdain et de la mer Morte. La rupture de l‘équilibre politique en Syrie-Palestine explique que les Israélites aient pu acquérir alors un territoire, mais ils ont dû le partager avec d’autres : d’où les luttes qui ont suivi la première installation (époque des Juges) et la persistance des enclaves cananéennes jusqu’à l’époque de David.(cf. Histoire, p. 485)
L’entrée dans la Terre
Nous ne sommes pas encore très bien renseignés sur Edom, Moab, Ammon; nous n’avons pas leurs traditions nationales. Ce que nous savons d’eux vient de la Bible où ils sont présentés comme des peuples apparentés. Ils ont, sans doute, passé par une longue période de vie nomade ou semi-nomade avant de se sédentariser .
Le cadre
Nous connaissons mieux la rive ouest du Jourdain par les Lettres de Tell-El-Amarna (du 14e siècle cf. Supp CE. 69, p.23ss); Canaan est alors un pays de petites cités-états. D’après l’archéologie, il semblerait que certaines de ces villes (Lakish, Qiryat Séfer, Béthel) portent des traces de destructions violentes au 13e s., suivies d’implantation plus pauvres sur les mêmes sites.
Mais il semble aussi que, dans d’autres cas, la pénétration se soit faite d’une manière pacifique : ainsi pour la région de Sichem, qui deviendra un centre important pour les tribus (cf. Jos 24) et pour laquelle il n’est pas question de conquête. Selon les Lettres de Tell El-Amarna, au 14e siècle., Sichem était aux mains des Hapiru. Si, comme certains le pensent, Hapiru et Hébreux ont un lien entre eux, la chose s’expliquerait :
“Le groupe qui a introduit du désert la foi en Yahvé n’était qu’un des éléments de l’Israël futur et il était peu nombreux, mais il avait une certaine parenté ethnique et il a rassemblé autour de lui des groupes parents, qui étaient déjà installés en Canaan, mais qui étaient venus de l’extérieur. La théorie trouverait son application la plus vraisemblable pour les tribus du nord, très mêlées aux Cananéens, louant leurs services aux princes contre lesquels ils est possible qu’ils se soient soulevés à l’arrivée du groupe de Josué, porteur de la foi en Yahvé et de l’idéologie de la guerre sainte.” (Histoire, p. 453)
Le passage du Jourdain et la prise de Jéricho
Pour entrer dans la Terre, il faut passer le Jourdain; Jos 2 parle de l’envoi des espions pour reconnaître le pays; en Jos 3, Josué rapproche son camp du bord du fleuve alors que celui-ci est en crue (Jos 3,15). Le passage du Jourdain est raconté comme un miracle comparable à celui de la Mer (voir la note BJ sur Jos 3,1 +). Mais comme l’écrit R. de VAUX :
“Le passage du Jourdain ne demandait aucun miracle. On le franchit à gué : les espions de Jos 2, l’ont traversé deux fois. Il peut être traversé par un groupe nombreux, même par une armée : il a été traversé au cours de l’histoire par toutes les armées, celles d’Israël allant combattre outre Jourdain ou celles qui attaquaient Israël, et il n’y a pas eu de pont sur le Jourdain avant l’époque arabe. Cela ne posait pas de problèmes, sauf si les gués étaient gardés, Jg 12,5, ce qui n’est pas le cas en Jos 6,1.” (Histoire, p. 559)
Jos 6 raconte la prise de Jéricho (cf. Jos 6,1 +). Mais que peut-on retenir de ce récit ? Voici la note TOB sur Jos 6,2 :
“Malgré les répétitions et les surcharges, la structure du récit est assez simple à percevoir : ordre de Dieu à Josué (v.2-5), transmission de cet ordre aux prêtres (v.6), puis au peuple (v.7-10), exécution de l’ordre (v.11-16.20). Le récit comporte à la fois des traits liturgiques et des traits guerriers. Le peuple et constitué par l’ensemble des hommes de guerre; la clameur fait partie des rites de la guerre et doit être poussée au moment de l’assaut (1 S 17, 20.52); de même l’usage du cor qui sert à effrayer l’ennemi (Jg 7,8-20). L’arche qui est associée aussi bien à la guerre qu’aux processions liturgiques fait le lien entre les deux aspects inséparables du récit. La procession, l’importance du chiffre sept, la mention des prêtres qui précèdent l’arche et la portent, manifestent le caractère liturgique de l’ensemble. Dans ces circonstances, il est difficile de préciser ce qu’a été la conquête de Jéricho.”
A la suite d’une campagne de fouilles (1930-36), J. GARSTANG pensait avoir démontré que la ville de Jéricho avait été détruite vers 1250, c-à-d. à l’époque de Josué. Mais selon de nouvelles fouilles, faites par K. KENYON (1950-54), ce site a été détruit déjà vers 1550 et abandonné par la suite.
“Il est impossible d’associer la destruction de Jéricho avec une entrée des Israélites à la fin du 13e siècle avant J.-C.; Jéricho pourrait avoir été détruite par une vague antérieure d’invasion, ou bien le récit dramatique de son siège et de sa conquête peut être un récit étiologique.” (Histoire, p, 562; cf. aussi la présentation avec réserve de la page précédente)
Sans doute l’archéologie ne peut donner une réponse définitive; si l’on tient compte de l’érosion du tell , il est possible que le récit ne soit pas purement étiologique mais le grossissement d’une conquête peu importante.
Le récit de la prise d’Aï en Jos 8 pose un problème assez semblable à celui de Jéricho. Aï en hébreu signifie “la ruine ”, comme la désignation arabe moderne : Et-Tell.
“Le site a été fouillé par deux expéditions différentes. Les résultats sont concordants. Et-Tell… a été détruite vers 2400 avant J.-C. Elle est restée déserte jusqu’après 1200, où un pauvre village non-fortifié s’est installé sur une partie des ruines. Celui-ci n’a subsisté que jusqu’au début du 10e siècle avant J.-C. au plus tard; après quoi le site a été complètement abandonné. (…) Au moment de l’arrivée des Israélites, il n’y avait pas de ville d’Ay, il n’y avait pas de roi à Ay, il y avait une ruine vieille de 1200 ans et les Israélites n’ont jamais connu le site que sous le nom de ha-Ay, toujours avec l’article : la Ruine.” (Hisoire, p. 565)
Les campagnes de Josué
Les deux points dont nous venons de parler nous montrent qu’il est souvent difficile, et même impossible, de savoir comment s’est déroulée l’entrée dans la Terre. Mais si les affrontements n’ont pas eu lieu à Jéricho et à Aï, ils ont pu avoir lieu autre part. Selon Jg 1,22ss, Béthel tomba aux mains de la tribu de Joseph par trahison et l’archéologie confirme la destruction de ce site au 13e siècle.
Dans d’autres cas, il est possible que les nouveaux venus aient trouvé une certaine collaboration: nous avons déjà parlé du cas de Sichem (cf. supra p. 13). Jos 9 nous présente un autre exemple : celui de Gabaon. Nous avons là un cas d’implantation sans combat et il pourrait bien n’être pas le seul.
“Par cet accord, les Israélites s’assuraient le contrôle des routes qui montent de la Shéphélah, spécialement la route de Bethoron qui a toujours été la principale voie de pénétration de la plaine dans le Haut-Pays à partir d’Ayyalon, depuis les campagnes philistines, 1 S 14,23 (grec) et 31, jusqu’aux guerres des Macchabées, 1 M 3,16.24. Il est normal que cette situation nouvelle ait provoqué une réaction des Cananéens, soucieux de détacher les Gabaonites des Israélites.” (Histoire, p. 579)
Selon la Bible, le pacte de Gabaon marque le début de la conquête du sud, puis celle du nord. Mais pour l’historien, les données sont moins simples. Selon R. de VAUX, la conquête du sud ne peut être attribuée à Josué et l’historien ne peut rien conserver de Jos 10, 28-39, au moins pour le temps de la conquête.(Histoire, p. 578; voir aussi A. Lemaire, Protohistoire, p. 293ss)
D’ailleurs d’autres textes (Jos 15, 13-19) attribuent la conquête du sud (Hébron, Debir) à Caleb et Otniel, des groupes qui seront absorbés plus tard par la tribu de Juda.
A cette conquête du sud est aussi rattaché le fameux miracle du soleil (Jos 10,10ss)
“… de même que le v. 11 sur la chute des grêlons, le petit poème des v.12-13 est une expression poétique cette fois de l’aide surnaturelle apportée à Israël. (…) De toute manière, le “miracle du soleil” n’appartient pas à l’histoire. Reste le fait de la bataille (de Gabaon) et de la victoire : comme nous l’avons vu, elle n’est pas liée à la conquête du sud de la Palestine par Josué; elle ne signifie même pas une extension du territoire au-delà des limites de la tétrapole gabaonite : le texte n’en dit rien. Mais elle a assuré, contre une réaction cananéenne, la possession de ce territoire, et cela était déjà important.” (Histoire, p. 582)
La conquête du nord en Jos 11 est un récit parallèle à Jos 10 (cf. Histoire, p. 599ss): une coalition des rois du nord est défaite par Josué qui les attaque à l’improviste près des eaux de Mérom. Ce récit garde un souvenir historique, mais qu’il faut situer à une autre époque et attribuer à un autre groupe que celui de Josué.
Selon l’archéologie, la ville de Hasor a été détruite à la fin du 13e siècle; elle peut avoir été détruite par des groupes qui se joindront plus tard à celui de Josué.
”L’affaire des eaux de Mérom et de Hasor se situe à 50 km au nord de cette barrière (le verrou cananéen de Meggido – Ta’annak – Beth-Shéan) : elle concerne d’autres groupes et fait partie d’une autre histoire. Je propose d’y voir un épisode de l’installation des tribus du nord, qui ont eu leur histoire distincte de celle de la maison de Joseph, comme les tribus méridionales et les tribus transjordanniennes ont eu leur histoire.” (Histoire, p. 605)
La victoire concernerait les tribus de Zabulon et Nephtali (cf. Jg 5), mais elle pourrait, selon R. de VAUX, avoir un lien avec Josué :
“Ce sont les groupes arrivés sous la conduite de Josué qui ont apporté le Yahvisme et la notion de la guerre de Yahvé… Il est possible – et même vraisemblable – que c’est l’arrivée des groupes de Josué et la foi nouvelle qu’ils apportaient qui a mis en mouvement les groupes du nord. Nous allons montrer que c’est à ces groupes que Josué s’adresse et propose le Yahvisme lors de l’assemblée de Sichem, Jos 24.” (Histoire, p. 609)
L’assemblée de Sichem en Jos 24
Ce chapitre de Josué pourrait nous avoir conservé un élément important de l’histoire de l’entrée en Canaan. L’alliance que Josué propose ici concerne probablement les tribus du nord (cf. la note de BJ sur Jos 24,1 +). D’après R. de VAUX :
“ Selon l’interprétation la plus vraisemblable, le pacte a été conclu entre les tribus du nord, qui n’avaient pas participé à l’expérience de l’Exode et du Sinaï et le groupe de Josué qui leur proposait la foi en Yahvé. Il est bien vrai qu’il s’agit d’une alliance religieuse (v.23-24) et qu’elle comporte l’imposition d’un statut et d’un droit (v.25). Mais elle n’engage pas les douze tribus qui n’étaient pas encore finalement constituées et dont les représentants n’étaient pas tous présents à Sichem.” (De Vaux, Histoire ancienne d’Israël **, La Période des Juges, 1973, p. 26)
Ou encore selon A. LEMAIRE :
“ La tradition biblique de l’alliance de Sichem (Jos 24 et parallèles) est ancienne et a probablement pour fondement historique l’alliance des Benê Israël avec les Benê Jacob. Elle est sans doute le résultat de la rencontre des Benê Israël , lors de leur expansion vers le nord, avec les Benê Jacob cherchant à s’étendre vers le sud (…) On pourrait retenir une datation très approximative vers 1200 av. J.-C.” (A. Lemaire, Protohistoire, p. 280)
En conclusion, on dira que la vérité (historique) pourrait se situer entre la guerre-éclair de Jos 1-12 et une pénétration purement pacifique. L’histoire de l’installation est, d’autre part, différente selon que l’on parle de la partie centrale, du sud ou du nord de la Palestine. Enfin, il est certain qu’à cette époque, l’unité des tribus n’était encore qu’embryonnaire et que l’image de Josué conquérant le pays à la tête de tout Israël est davantage théologique qu’historique.
“Les origines d’Israël, comme celles de tous les peuples, sont enveloppées d’obscurité : elles restent en partie hors d’atteinte de l’historien.” (Histoire, p. 454)
La vie en Canaan avant la royauté
“En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qu’il lui plaisait ”: cette petite phrase, qui se lit en Jg 17,6 et 21,25; cf. 18,1 et 19,1, nous dit mieux qu’une longue description la situation du peuple entre son entrée dans la terre et la période royale.
Comme nous le montre le Livre des Juges, le pays n’est pas entièrement aux mains des Israélites et l’unité des tribus est encore relative : elle n’existe que pour des actions limitées.
La période des Juges : si on additionne les différents chiffres que l’on trouve dans le Livre des Juges, on atteint la somme de 410 ans pour cette période. Or, entre la sortie d’Égypte et le début de la période royale (à l’époque de Samuel), on ne peut placer qu’un siècle et demi.
Mais cette différence de la chronologie s’explique par le fait
– que les différents épisodes de Jg ne concernent qu’une ou deux tribus et non l’ensemble du peuple; ces divers événements peuvent donc se chevaucher.
– d’autre part, les indications de temps sont manifestement conventionnelles : 40 ans / 20 ans ( = une génération / une demi-génération) : cf. Jg 3,11.30; 4,3; 5,31; 8,28…
– que l’action des différents “juges” se passent dans diverses parties du pays : ainsi si nous prenons les récits des “grands juges” (les libérateurs), nous les trouvons :
au sud : Otniel (3,9); Samson (13,2)
au centre : Ehud (3,15) dans la montagne d’Ephraïm
Gédéon (6,15) en Manassé
Jephté (11,1) en Galaad
au nord : Débora (4,6)
La situation du peuple à cette époque :
“…le livre a une valeur historique considérable. La rédaction deutéronomiste puis l’édition finale avec les appendices ont conservé des traditions authentiques sur cette époque où s’est formé le peuple d’Israël et pour laquelle le livre des Juges est notre seule source d’informations. On voit les tribus consolider la possession de leurs territoires, les défendre contre les oppressions des ennemis de l’intérieur et contre les invasions de l’étranger, lutter entre elles pour s’assurer une hégémonie, préparer aussi l’unité que réalisera la monarchie. On assiste aux crises sociales et politiques que provoque le passage de la vie semi-nomade à la vie urbaine de Canaan. Cet affrontement avec les institutions cananéennes se produit aussi dans le domaine religieux : on voit comment s’est préservé, en s’adaptant, le Yahvisme apporté du désert et comment se sont développées les institutions.” (Histoire **, p. 17-18)
Au point de vue politique, les “Juges” sont des chefs occasionnels (voir Introduction aux Jg en BJ, qui les compare au “suffètes” de Carthage); ils exercent leur autorité au profit d’une tribu, exceptionnellement de plusieurs.
L’histoire de Gédéon nous montre que certains voudraient institutionnaliser l’expérience (Jg 8,22), mais la tentative d’Abimélék échouera (Jg 9,1 +).
Au point de vue religieux, ces clans, plus ou moins indépendants, sont tous unis dans la même foi; tous les Juges sont présentés comme des Yahvistes convaincus (Jg 6,11ss; 13,8ss). Le sanctuaire de Silo, où se trouve l’arche, est le point de réunion (Jg 21,19). Mais la foi yahviste se trouve en contact avec la religion cananéenne (Jg 6,10.28; cf. 1 S 7,3) et l’affrontement entre les deux va durer encore des siècles (cf. 1 R 19,21ss; Os 2,4ss).
Au point de vue sociologique, l’installation en Canaan marque profondément ces tribus semi-nomades. Le passage d’une économie basée sur l’élevage à une économie de type sédentaire (culture, commerce, industrie) transforme peu à peu les relations entre familles et clans.
Il ne sera pas toujours aisé de faire le tri entre ce qu’il est légitime d’adopter de la civilisation cananéenne et ce qu’il faut, au contraire, refuser parce qu’incompatible avec la foi yahviste. Ce sera le travail de plusieurs siècles, dans lequel des hommes comme Élie, puis Amos, Osée et d’autres joueront un rôle déterminant.
Mentionnons enfin un dernier élément qui aura, à cette époque, une grande influence sur la vie des tribus : la présence des Philistins et le danger qu’ils vont représenter pour Israël. En effet, presque à la même époque où le groupe emmené par Josué pénétrait en Canaan par l’est, un autre groupe, venant de la mer, prenait possession de la côte entre Gaza et le Carmel. Ceux que la Bible appellent les Philistins formeront une confédération de cinq villes (Ashdod, Ashqelon; Gat, Eqrôn, Gaza) et après s’être établis sur la côte, ils chercheront à contrôler l’intérieur du pays, mettant ainsi en danger la vie des tribus d’Israël et les forçant à s’unir et à s’organiser.
Les théories actuelles sur l’installation d’Israël en Canaan
1) La théorie la plus classique: celle de la conquête présentée par le récit biblique. Mais il faut alors relativiser cette conquête (cf. Jg 1) et reconnaître que la “campagne éclair” de Josué est une construction littéraire.
2) A cause des problèmes soulevés par les fouilles de Jéricho et d’Aï, d’autres parlent de sédentarisation progressive de semi-nomades (cf. A. Alt) : une infiltration lente et pacifique au début dans les territoires les moins peuplés, ensuite dans les plaines plus fertiles; enfin au temps de la monarchie, les ancêtres d’Israël auraient conquis les villes cananéennes.
3) Une théorie récente proposée par G. MENDENHALL et N. K. GOTTWALD : une révolte des paysans contre les villes cananéennes, révolte favorisée par un groupe de lévites arrivés d’Égypte et apportant un foi nouvelle. (cf. le résumé dans J.-L.Ska, p. 73-74)
Ces trois théories ont chacune leurs problèmes. Certains spécialistes cherchent à combiner les éléments de la deuxième et troisième théorie :
“Le système cananéen s’est éteint de lui-même. Il s’est peu à peu effrité, puis s’est effondré. La construction et l’entretien des remparts, le maintien d’une armée de métier et de troupeaux de chevaux pesait lourdement sur l’économie d’un pays dans lequel les ressources étaient plutôt limitées. (…) la population a diminué de façon drastique dans les plaines occupées par les villes cananéennes à partir de la fin de l’époque du Moyen Bronze (1800-1550 av. J.-C.) et atteint son niveau le plus bas à l’époque du Récent Bronze (1550 – 1200 av. J. -C.), époque qui coïncide, pour de nombreux chercheurs , avec celle de la “conquête” ou de l’installation d’Israël dans le pays de Canaan. Il n’est donc pas nécessaire de recourir à l’hypothèse d’une rébellion ou d’un conflit violent, parce que les causes de la débâcle cananéenne sont internes. Une civilisation est morte et une autre a pris sa place.” (Ska, p. 76-77)
Par ailleurs, c’est à cette époque que l’on trouve la première mention d’Israël en dehors de la Bible : dans la stèle de Merneptah (1238-1209) où le pharaon parle d’une campagne faite durant la cinquième année de son règne (1233), on y lit : “Israël est anéanti et n’a plus de semence [descendance, postérité].”(voir le texte dans Supp. CE 69, p. 36-37)
I V. L e R o y a u m e : de 1050 à 930
Dans les livres de Jos et Jg, nous voyons un groupe venu d’Égypte pénétrer en Canaan à partir de l’est; dans 2 S, nous trouvons un royaume formé de douze tribus, installées sur les deux rives du Jourdain. Comment cela est-il arrivé et pourquoi ces tribus indépendantes en sont-elles venues à s’unir sous un seul chef ?
A ces questions, la Bible nous donne une double réponse :
– “un roi comme les autres nations ” (cf. 1 S 8,5) : le passage à la monarchie apparaît ici comme une conséquence de la sédentarisation. Dans 1 S 8-11, nous lisons, aujourd’hui entremêlées, deux traditions, l’une favorable à la monarchie, l’autre très critique envers cette institution (cf. note de BJ ou TOB sur 1 S 8,1 +) : la première est, sans doute, la plus ancienne; la seconde pourrait refléter une certaine expérience (malheureuse) de cette forme de gouvernement.
– la deuxième raison donnée par la Bible pour l’institution de la monarchie est le danger que représente à cette époque pour Israël la présence des Philistins . Installés d’abord sur la côte, ils étendent de plus en plus leur pression vers l’intérieur. Leur organisation (confédération des cinq villes) et leur développement technique supérieur à celui des Israélites (cf. le fer : 1 S 13,19-22) en font une menace sérieuse pour la vie des tribus.
Les sources bibliques pour cette partie de l’histoire d’Israël sont relativement abondantes et elles se trouvent dans les Livres de Samuel (1-2 S) et dans le début des Rois (1 R 1-11). Ces textes sont évidemment plus proches des événements qu’ils rapportent que dans les chapitres précédents. Ils restent cependant un regard porté sur cette période quelques siècles plus tard par auteurs qui veulent en donner une interprétation. Les recherches actuelles, surtout celles de l’archéologie en Palestine, ainsi qu’une meilleure connaissance des sources extra-bibliques, nous invitent ici encore à beaucoup de prudence.
1) La présentation biblique des faits
La Bible nous parle successivement des hommes qui ont opéré le passage vers la monarchie et marqué ainsi l’histoire d’Israël : Samuel, Saül, David, Salomon.
Samuel, le dernier des Juges (vers 1050)
Le danger philistin : le début du Livre de Samuel nous montre Israël dans une situation difficile, face aux ambitions des Philistins. Par la bataille d’Apheq (vers 1050), ceux-ci s’assurent le contrôle d’une partie importante du territoire occupé par les tribus (du centre) : 1 S 4, 1ss. Samuel apparaît alors comme une “juge” qui libère le peuple (1 S 7,2ss; cf. aussi la note sur 1 S 7, 2 +).
Mais le pouvoir de Samuel ne s’étend que sur la montagne d’Ephraïm (7,15-17). A-t-il pensé à instituer une dynastie ? (cf. 8,1ss). Ou bien, la demande est-elle venue du peuple, désirant un chef “comme les autres nations” ? Quoi qu’il en soit de ces questions, la victoire de Eben-ha-Ezer (7,11-12) semble avoir été assez relative, et le danger philistin toujours menaçant, comme le laissent entendre 1 S 10,5 et 13,3s; cf. aussi la remarque de 13,19ss.
De plus, à cette époque, le danger ne vient peut-être pas que des Philistins :
“… tout autour des tribus d’Israël, ses voisins s’organisent. Au nord, la Phénicie assure sa puissance sur la côte et protège son arrière-pays. Les Araméens sont devenus une puissance assez redoutable pour inquiéter le souverain assyrien Tiglat-Piléser I, pourtant vainqueur de Babylone. A l’ouest et au sud, Ammon et Edom affermissent leurs royaumes.” (F. Castel, Histoire, d’Israël et de Juda, 1983, p. 81-82)
Dans ces conditions, on comprend que les tribus aussi cherchent à s’organiser.
Les tendances pour ou contre la monarchie : Les textes bibliques, cf. 1 S 8, 1 +, nous ont conservé quelques échos du débat soulevé par la monarchie. Pour certains, la monarchie représenterait une infidélité à l’égard de YHWH (8,5-8) de la part d’Israël, oubliant son élection; pour d’autres, au contraire, c’est un changement nécessaire à cause de la sédentarisation et de la situation nouvelle dans laquelle se trouvent les tribus : pourquoi ne pas imiter le modèle politique de Canaan, alors qu’on a tellement emprunté à la culture et aux moeurs de ce pays ?
Le texte de 1 S 8-12 mêle les différentes traditions sur l’introduction de la monarchie. Voici la note de TOB sur 1 S 8, 1 :
“Comme le ch. 7, le ch. 8 est apparenté à 12… ces trois chapitres sont réservés à l’égard de l’institution monarchique(…) Mais 10, 17-27 semble bien conserver une tradition indépendante : selon 10, 24, c’est le Seigneur qui choisit le roi, tandis qu’en 8,18, le choix est attribué aux Israélites(…) 1 S 9,1-10,16 et 11 rendent un tout autre son, n’exprimant aucune réserve à l’égard du roi. On reconnaît généralement en 11 un ancien récit, mais on hésite à y voir la suite de 9,1-10,16 qui paraît plus tardif que la relation de la campagne de Saül contre les Ammonites. 1 S 8-12 rassemble donc des traditions différentes sur les origines de la monarchie. Leur apparente incompatibilité tient à la diversité, voire à l’opposition des points de vue et peut-être aussi, à l’effacement dans le récit actuel de la chronologie des événements.”
Saül, roi d’Israël (vers 1030)
La tradition biblique sur Saül est compliquée : nous n’avons pas un chronique suivie, mais des récits anecdotiques sur les rapports de Saül avec Samuel, puis de Saül avec David.(voir D. Noël, CE 109, p. 8ss)
Saül appartient à la tribu de Benjamin; il habite Gibéah (6 km au nord de Jérusalem). Il paraît s’être imposé comme chef (sur Benjamin-Ephaïm-Galaad) à la suite d’une action d’éclat au profit de Yabesh (1 S 11,1-11; cf. 31,11-13 et 2 S 2, 46-47).
Après cette victoire, il entreprend une guerre de libération contre les Philistins (1 S 13-14) et il réussit à prendre l’avantage dans la montagne (cf 13,3ss). Mais plus tard, il commet l’erreur de combattre les Philistins sur un terrain qui leur est favorable (1 S 28 et 31) et il meurt à Gelböé dans une défaite très lourde pour Israël.
“Devenu roi, Saül organise une armée permanente (1 S 13,2; 14,52) et repousse successivement les Ammonites, les Philistins et, au sud, les Amalécites. Il détermine ainsi un territoire dans les collines allant de la limite de la plaine de Jizréel au nord, à Rama, Gibéa, Gilgal au sud, et s’étendant de l’autre côté du Jourdain autour de Jabès et Mahanaïm. Saül a donc réalisé l’union des tribus du centre et a sans doute posé les premiers liens avec Juda, au sud, pour combattre les Amalécites. C’est ce qui explique la présence à sa cour de David, le Judéen.” (F. Castel, p. 82)
La Bible parle aussi de la maladie qui assombrit la fin de sa vie (voir 1 S 16, 14 +; cf. 18,10; 19,9s).
DAVID, roi sur les douze tribus (1010 – 970)
Après la mort de Saül et la défaite de Gelboé, l’avenir du royaume commencé par Saül paraît bien faible. Mais dans un temps très court, David prend la relève et réunit sous son pouvoir toutes les tribus du Sud et du Nord.
Dans la Bible, l’histoire de David est mêlée à celle de Saül; d’autre part, plusieurs épisodes qui le concernent sont rapportés deux fois, par des traditions différentes; d’autres enfin, comme 1 S 16, 1-13 sont nettement théologiques : c’est dire que l’historien a bien des fils à débrouiller.
Voici la note de TOB sur 1 S 16 :
“Bien qu’il soit fortement rattaché au ch. 15, le ch. 16 est considéré comme le début de l’ascension de David qui s’achève en 2 S 5 par l’installation à Jérusalem du roi de Juda et d’Israël. Ce recueil de traditions où les doublets ne manquent pas 16,14-23 et 17, 55-18,5 (rencontre de David avec Saül), 18,8-16 et 19,8-10 (Saül tente de tuer David), 19,1-7 et 20, 1-21 et 27 (Jonathan prend parti pour David), 24, 1ss et 26,1ss (David épargne Saül), n’est pas une compilation désordonnée, mais un ensemble bien charpenté. Le rappel de la guerre qui oppose les Philistins à Israël sert au narrateur à jalonner le récit (17,1; 19,8; 23,1; 28,1; 31,1; 2 S 5,2.
Chaque épisode est nettement délimité par les notations des mouvements des personnages et tout le récit met en opposition la déchéance de Saül et les progrès de David (cf 2 S 3,1 et 5,10) expliqués par la formule qui revient comme un refrain : “le Seigneur était avec lui” : 1 S 16,18; 17,37; 18,12.14.28; 20,13; 2, S 5,10. Toute l’histoire est écrite à la gloire de David dont on souligne la loyauté envers Saül (ch 24,11 et 26,23), l’humanité, la chaleur de son amitié pour Jonathan, la magnanimité pour Abner et Ishboshet, l’attachement envers son propre peuple alors que le héros se trouve contraint de servir les Philistins.”
Qui est David ?
– David est un homme du sud, de Bethléem (cf. 1 S 16);
– il entre dans l’entourage de Saül avant (16,14ss) ou après (17,55ss) un combat singulier. Voir note de BJ sur 1 S 16, 14 +.
– il se distingue par son courage (voir notes de BJ et TOB sur 16,4), ce qui lui vaut une grande popularité (18,7), mais aussi la jalousie de Saül.
– Menacé de mort, bien que gendre du roi (18,17ss), David doit prendre la fuite (19); des gens de son clan ainsi que d’autres mécontents de la politique de Saül, le suivent (22,1-2); poursuivi par Saül, il lui échappe grâce à sa connaissance du désert de Juda (24; 26);
– cependant devant la menace toujours plus grande, il est obligé de se réfugier chez les Philistins (1 S 27, 1 et les notes TOB ou BJ), mais très habilement, David sait se servir de cette situation pour se concilier les gens du Sud (cf. 1 S 27, 8-12; 30, 26-31 et les notes TOB sur 27, 1 et 11).
David, roi à Hébron
Après la défaite de Gelboé et la mort de Saül (2 S 1,1 +), David comprend que son heure est venue. Il se rend à Hébron, où il est proclamé roi par les tribus du sud (2 S 2,4 +). Ceci n’est pas improvisé, comme nous le montrent 1 S 30,26-31 et 2 S 2,3 Cf. aussi la note la TOB sur 2 S 2,4 :
“L’onction donnée à David par ses compatriotes, dont il s’est acquis la bienveillance (cf. 1 S 30,31 et note), représente probablement la réalité historique (cf. 5,3 et note; 1 R 5,15; 2 R 23,30). L’onction conférée par Samuel (1 S 16) souligne l’intention théologique de l’auteur : le roi est bien l’élu du Seigneur.”
Il semble qu’au début les Philistins n’aient pas eu d’opposition à cette politique de David, qui reste théoriquement leur vassal. D’ailleurs, seul le sud est alors avec David (2 S 2,10; 3,1). Ainsi les forces d’Israël sont divisées.
En effet, dans le nord, la mort de Saül n’a pas marqué la fin du royaume : Abner se sert du faible fils de Saül, Ishbaal, et constitue un gouvernement en exil en Transjordanie (2 S 2,8ss).
Mais les Philistins vont s’apercevoir qu’ils ont sous-estimé les ambitions de David. En effet, celui-ci sait profiter des occasions pour se concilier les sympathies des gens du nord (cf. 2 S 2,4ss à l’égard des gens de Yabesh) et pour isoler Ishbaal, qui d’ailleurs se brouille avec Abner (2 S 3,6-7 +). Abner négocie alors avec David (2 S 3, 12ss); celui-ci reprend Mikal, la fille de Saül, qu’il avait épousée : ainsi comme gendre du roi défunt, il peut revendiquer des droits à la succession (2 S 3, 12-16).
L’assassinat d’Abner par Joab (3,22ss) faillit tout remettre en question, mais David réussit à écarter toute tache de ce meurtre et bientôt les anciens d’Israël, réunis à Hébron, le reconnaissent pour roi (2 S 5, 1-3). Ainsi David se trouve à la tête des deux groupes de tribus, celles du sud et celles du nord. Cf la note TOB sur 2 S 5, 3 :
David devient le roi des Israélites en vertu d’une alliance qu’il leur octroie (cf. 3,21). Entre Juda (cf. 2,4) et Israël, il exista donc une union personnelle, fragile en cas de crise. Absalom (15,2.6-10), puis Shéba (20, 1-22) tenteront de s’appuyer sur Israël. Mais la rupture n’aura lieu que sous Roboam (1 R 12).
David se trouve ainsi dans la ligne des anciens “juges” : il est un chef (nagid ) désigné par Dieu par ses nombreux succès (cf. “le Seigneur était avec David ”) et il acclamé comme roi (mélék ) par les tribus (2 S 2 et 5).
Mais, d’autre part, il y a une grande évolution : David est un chef militaire investi par les Philistins et possédant sa propre armée; il aura bientôt sa capitale. C’est donc une alliance personnelle entre lui et les tribus et non plus l’antique alliance des tribus entre elles, réunies occasionnellement sous un même chef.
Cette politique d’union autour de sa personne marque le premier pas de David dans la guerre d’indépendance. Les Philistins veulent contrecarrer ses projets : la bataille a lieu près de Jérusalem (2 S 5,17ss et notes BJ ou TOB). David est victorieux et bientôt ce seront les Philistins qui lui payeront tribut.
David, roi à Jérusalem
David se trouve à la tête des tribus du sud et du nord, et par là, à la tête de l’ensemble des tribus d’Israël, mais l’unité n’est pas encore faite. La présence des villes cananéennes, en particulier celle de Jérusalem située entre les deux groupes de tribus, empêchait cette unité.
David s’empare alors de Jérusalem (voir note BJ sur 2 S 5,9 +) – par ruse ou par trahison (2 S 5,8 +) – et il fait de Jérusalem sa capitale (cf. 5,11). Cette ville non-israélite, appartenant personnellement au roi, a dû poser quelques problèmes. Mais David sait tirer parti de la situation et de l’indépendance que cette ville lui donne à l’égard des deux groupes qui ont fait alliance avec lui. Il en fait également le centre religieux d’Israël en y installant l’Arche (2 S 6,1 +), même si son désir de construire un temple ne peut se réaliser ( 2 S 7).
Sa position, ainsi consolidée, David se taille, par une série de campagnes (contre les Philistins : 2 S 8,1; contre les Moabites : 8,2s; contre les Araméens : 8,3-6; contre les Edomites : 8,13-14,; contre les Ammonites (2 S 10,6ss), un royaume important pour l’époque, recouvrant à peu près les frontières de l’empire égyptien en Palestine sous la 19e dynastie.
Mais ce royaume, uni par la force d’un seul homme, est en réalité très fragile : les fractions du nord et du sud restent toujours bien vivantes et elles se manifesteront dès la vieillesse de David (révolte d’Absalom, qui contraint David à prendre la fuite : 2 S15,13ss, et surtout celle du Benjaminite Shéba : 2 S 20). Cf. note TOB sur 2 S 15, 1 :
“Exploitant un mécontentement des Israélites du nord, dont les motifs ne sont guère précisés, et aussi de certains Judéens qu’il cherche à rallier à sa cause (le choix d’Hébron est significatif), Absalom prépare sans le vouloir la révolte de Shéba (20,1-22) qui compromettra momentanément l’unité fragile de la double monarchie. Il s’agit donc d’une véritable crise nationale, auprès de laquelle la rivalité qui oppose Adonias à Salomon (1 R 1) fait figure de querelle de palais”
A la mort de David, l’unité du royaume reste extrêmement fragile, comme nous le montre la suite du récit biblique.
Le portrait de David
David est un des personnages les mieux connus de l’AT; la Bible lui consacre une place importante et la qualité des sources qui nous sont parvenues est soulignée par tous les historiens. Parmi les traits de David, on peut retenir :
– son courage, son audace : combat singulier, vie errante;
– son sens politique : comment il sait ménager les amitiés toujours existantes pour Saül dans le nord et se dégager de son clan; cf. aussi la manière dont il sait profiter de son séjour chez les Philistins pour préparer l’avenir;
– son humanité, spécialement à l’égard de Jonathan, d’Abner, de son fils Absalom (2 S 18, 19ss);
– son sens religieux, malgré sa faute (2 S 12) ou malgré les intérêts politiques (2 S 7; cf. aussi 2 S 15,25); à noter également les limites : 1 R 2,5-9;
– son sens poétique : on lui attribue la lamentation sur Saül et Jonathan (2 S 1, 19ss) et celle, tronquée, sur Abner (2 S 3,33) ainsi qu’une hymne (2 S 22 = Ps 18) et des chants liturgiques (cf. 2 S 6,5).
Salomon et la fin de l’unité (970-930)
Quand David meurt en 970, le schisme est déjà en germe. Le grand règne de Salomon peut donner le change en surface, mais les fissures sont ouvertes.
La succession de David : dans la famille même de David, la désunion règne dès la vieillesse du roi. La Bible raconte ici sans fard (2 S 9 – 1 R 1) comment Salomon réussit à succéder à David en écartant ses frères (cf. les notes de BJ et TOB sur 2 S 9,1 +).
Après la mort d’Ammon, à cause de l’outrage fait à Tamar (2 S 13), puis après celle d’Absalom (2 S 18), la lutte se concentre entre Adonias et Salomon :
Adonias est soutenu par Joab et Ébyatar; Salomon peut compter sur Natân, Benayahu et Sadoc et c’est l’intrigue de ces derniers qui réussira à placer Salomon sur le trône, du vivant même de David (1 R 1; cf. les notes sur 1,7 + et 1,8 +).
Salomon fait ensuite tuer Adonias et Joab; Ébyatar sera banni (1 R 2,26-35). Salomon consolide ainsi sa position (cf. 1 R 2,46). L’unique descendant de Saül sera, lui aussi, mis hors d’état de nuire (1 R 2,36-46).
Le règne de Salomon : Salomon se trouve ainsi à la tête du royaume, Dans 1 R 3-10 la Bible nous donne des informations sur la politique qu’il tente de mettre en oeuvre pour organiser et unifier le royaume. Dans 1 R 11, les auteurs bibliques, en relevant les ombres du règne, annoncent le schisme qui suivra sa mort.
Salomon nous est présenté comme
– un organisateur : il cherche à centraliser, en remplaçant les tribus par un système de 12 provinces (dont les limites coïncident plus ou moins avec celles des tribus) ayant chacune un gouverneur à sa tête (1 R 5,7-19 et note BJ).
– un constructeur : il construit le Temple (1 R 6,2 + et 7,15ss), mais aussi le palais, à la droite du Temple (1 R 7), ainsi que des villes fortifiées (1 R 9, 15ss).(cf. aussi D. Noël dans CE 109, p. 22-25)
– un modernisateur : il adopte les chars et les chevaux et construit des villes de garnisons pour eux (1 R 9, 19; 10, 26). On peut comparer sur ce point l’attitude plus “conservatrice” de David en 2 S 8,3-4; cf. aussi Jos 11,6-9.
Il crée également une flotte à Élat (1 R 9,26ss) et une autre en Méditerranée (10,22), avec des“vaisseaux de Tarsis”.
– un diplomate : il entre en relation avec Tyr pour ses constructions (1 R 5,15ss; 9,10ss), avec l’Egypte, par mariage, (1 R 3,1ss); il fait de son pays un centre de commerce pour les chars et les chevaux (10,29ss).(comme le note D. Noël, CE 109, p. 22, « ce serait le seul mariage connu d’une fille de pharaon avec un souverain étranger ».)
– un sage : la Bible souligne encore sa réputation de sagesse, cf. 1 R 5,9ss; voir aussi 5,13 + et 10,1ss. On connaît son fameux jugement : 1 R 3, 16ss.
Le bilan du règne de Salomon
La Bible montre que malgré son génie, Salomon n’a pas réussi à unifier le royaume dont il avait hérité. Au contraire, son administration centralisatrice, au dépens des droits des tribus, a mécontenté les sujets. De plus, les lourdes charges imposées par l’entretien de la cour et par les constructions, ont renforcé les mouvements séparatistes, fondés sur la vieille opposition entre le sud et le nord.
La Bible relève également le manque de fidélité de Salomon au pur Yahvisme (cf. 1 R 11 : ses nombreuses femmes) et elle y voit la cause directe du schisme.
Déjà du vivant de Salomon, on assiste à l’effritement de l’empire : 1 R 11, 14ss (Édom) et 11,23ss (Damas), alors qu’à l’intérieur le schisme se prépare (1 R 11, 26ss), soutenu par des prophètes, à cause de la tolérance religieuse de Salomon.
2) Le Royaume de David et Salomon devant l’histoire
Jusqu’à une période assez récente, les historiens pensaient pouvoir trouver enfin dans les livres de Samuel et des Rois des informations relativement fiables. Mais actuellement la situation a changé; voici ce qu’écrit J. – L. SKA :
La figure de David est aujourd’hui, elle aussi, fortement relativisée. Le royaume de David et de Salomon n’a pas pu avoir les dimensions dont parle la Bible. Aucun document contemporain ne le mentionne. (…) Si la description des livres de Samuel et du premier livre des Rois était une peinture réaliste, il est difficile de comprendre pourquoi les empires proches n’en ont pas entendu parler et n’en ont conservé aucun souvenir. L’Égypte ancienne elle-même ne se souvient pas de Salomon, bien que ce dernier ait épousé, toujours selon la Bible, une princesse égyptienne, fille de Pharaon (1 R 9, 16; 11, 1). Le fait serait d’ailleurs surprenant, car les pharaons n’accordaient pas leurs filles en mariage à des étrangers.”
L’archéologie n’est pas parvenue non plus à confirmer ce que la Bible nous dit des règnes de David et de Salomon. Il n’est pas resté grand chose du palais et du fameux temple de Salomon. En réalité, la description de ce temple est probablement une reconstruction tardive et idéalisée.” (J. -L. Ska, p. 88)
Pourtant en faisant remonter à David l’origine du royaume de Juda, la Bible n’a pas tout inventé. Pour les historiens, si David a pu s’imposer, c’est d’abord à cause de la menace représentée par les Philistins, ensuite parce qu’il était chef de bande (contrairement à Saül : 1 S 9, 1-3) et enfin à cause de l’histoire de la tribu de Juda comparée à celle d’Israël. Toujours selon J. L. SKA :
“Ce royaume davidique, de dimensions plutôt modestes, acquit, dans la mémoire collective d’Israël, des dimensions fabuleuses et presque légendaires uniquement après la chute de Samarie en 721 avant J.-C. C’est à ce moment que Jérusalem succéda à Samarie et devint la ville la plus importante de la région. Les rois de Juda, qui appartenaient à la “maison de David”, firent de leur ancêtre le premier roi d’un grand royaume qui correspondait peut-être plus à leurs rêves qu’à la réalité historique. (…) Ensuite, après la chute de l’Empire assyrien, les rois de Juda purent étendre leur zone d’influence vers le nord, en particulier sous le roi Josias (640-609 av. J.-C.)” (id. p. 89)
Comme nous l’avons vu en parcourant les sources bibliques, ces textes ont été écrits à la gloire de David, de Salomon et du point de vue du royaume de Juda.
“En conclusion, une chose est certaine : le récit biblique a fortement embelli l’histoire de David et Salomon, Pour s’en convaincre, il suffit de lire le récit bien connu de 1 Samuel 17 et de le comparer avec 2 Samuel 21, 19 (…) Comme dit le proverbe : “On ne prête qu’aux riches”.
La description du temple de Salomon devrait également être fortement revue pour pouvoir correspondre à la réalité historique. Le but du texte de 1 Rois 5-8 est de montrer qu’il existait dès le début en Israël un lieu de culte unique, reconnu par toutes les tribus. Une fois encore, la description du passé veut légitimer une situation postérieure. Cette situation n’a existé en fait qu’après la réforme deutéronomique (2 R 22-23; Dt 12) et à l’époque postexilique. La réforme deutéronomique, sous le roi Josias, en 622 avant J.-C., introduit l’idée de la centralisation du culte à Jérusalem.” (id. p. 90)
D’après I. FINKELSTEIN et N. A. SILBERMAN, les recherches archéologiques récentes ne peuvent apporter aucune preuve des conquêtes davidiques, ni de son empire; elles ne relèvent pas non plus de traces d’architecture monumentale ou de cité importante à Jérusalem pour la période de Salomon.(voir La Bible dévoilée, p. 156ss; cf. aussi A. Lemaire, dans Le Monde de la Bible, no 146 (nov 2002), p. 35-39)
Pourtant l’archéologie peut aussi apporter des contributions intéressantes : ainsi la stèle découverte en 1993 à Dan, près des sources du Jourdain, où pour la première fois on découvrait le nom de David, en dehors de la Bible. Sur cette stèle, le roi Hazaël de Damas se glorifie d’une victoire sur le roi d’Israël et sur le roi “de la maison de David”. Ce texte ne nous apprend rien sur David lui-même, mais il nous montre qu’au milieu du 9e siècle, on pouvait désigner un roi de Juda comme étant celui de “la maison de David”. (Sur cette stèle, voir Ska, p. 91 et 99-100)
V. Le schisme et l’Exil (de 930 à 587)
Selon la Bible, le schisme est la conséquence de la politique (religieuse) de Salomon. Provoqué par la maladresse politique de Roboam, il rencontre un succès immédiat dans les tribus du nord, ce qui témoigne de la force du mouvement séparatiste (cf 1 R 12,20ss). L’unité nationale s’était faite jadis dans des circonstances bien précises et grâce à la forte personnalité de David.
Les sources dont nous disposons dans la Bible pour cette tranche de l’histoire du peuple se trouvent dans les Livres des Rois (1 R 12 – 2 R 25; les auteurs bibliques citent parfois d’autres sources, dont ils disposaient, mais qui ne nous sont pas parvenues : les Actes de Salomon , les Annales des rois de Juda ; les Annales des rois d’Israël .(cf. aussi les Chroniques qui donnent parfois des renseignements intéressants que nous ne trouvons pas dans les Livres des Rois)
Nous trouvons également quelques renseignements chez les Prophètes, qui sont contemporains de cette tranche de l’histoire.
Enfin nous disposons de documents extra-bibliques (tablettes, inscriptions assyriennes ou babyloniennes) qui viennent compléter, confirmer ou infirmer les données bibliques. Ces documents nous permettent généralement de dater de façon assez précise les événements.(sur les difficultés de la datation, voir F. Castel, p. 100)
1) La Présentation biblique dans 1 R 12 – 2 R 25
La Bible nous parle d’abord du Schisme, puis de l’histoire des deux Royaumes, Israël et Juda, jusqu’à leur ruine respective.
le Schisme (931)
La Bible distingue deux aspects, quoique liés, de cet événement : le côté politique et le côté religieux du schisme.
– l’aspect politique du schisme : du vivant de David, l’unité avait déjà été mise en péril (avec Absalom : 2 S 15; et avec Shéba : 2 S 20); sous le règne de Salomon, la révolte des tribus du nord avait également commencé autour de Jéroboam (1 R 11,26ss).
Parmi les causes immédiates de la séparation, les textes bibliques mentionnent :
– la répartition des impôts, où le nord semble avoir été imposé plus fortement que le sud (cf. 1 R 5,7-19);
– le fait que la conception de la monarchie n’était pas identique dans le sud et dans le nord. Alors que le sud semble accepter sans problème une monarchie dynastique, à partir de la promesse de Natân (2 S 7), le nord se fait une idée plus démocratique de la monarchie : il semble que le nouveau roi doive d’abord être agréé par un conseil d’anciens (cf. 1 R 12).
D’autre part, on voit une partie du mouvement prophétique soutenir les tendances séparatistes du nord à cause du manque de fidélité à la foi yahviste de la part de Salomon
Aussi dès la mort de Salomon, devant le refus de son successeur Roboam d’alléger les charges, la rupture entre le nord et le sud est consommée : l’unité Juda-Israël n’aura duré que sous David et Salomon ( ± 75 ans}.
Les tribus du nord s’organisent; vient d’abord le choix d’une capitale, qui soit le pendant de Jérusalem : ce sera d’abord Sichem (1 R 12,25), puis Pénuel, ensuite Tirça (1 R 14,17 +) et enfin, sous Omri, Samarie (1 R 16,24).
“Le site est remarquablement choisi, au carrefour des routes allant au sud vers Sichem et Jérusalem, au nord vers Meggido, Damas et le pays phénicien, à l’ouest vers la côte. Samarie apparaît encore aujourd’hui comme un merveilleux observatoire au milieu de collines fertiles.” (F. Castel, p. 102)
“La ville est une ville neuve, strictement israélite, sans passé, (…) Ville du roi, Samarie échappe aux rivalités tribales. Le choix d’Omri est tout à fait comparable au choix de Jérusalem par David. ” (J. Briend, dans Supp. CE 69, p. 53)
– l’aspect religieux du schisme : on ne devrait pas parler sans autre de “schisme religieux” (comme le fait la BJ dans le titre), car d’une part, à cette époque, Jérusalem n’est pas encore considérée comme le sanctuaire unique, – cela se fera qu’avec la réforme de Josias en 622, – et d’autre part, ce que fait ici Jéroboam n’était pas en soi idolâtre (cf. 12,28 +) : il s’inspire de la politique utilisée par David quand il introduisait l’Arche à Jérusalem. En remettant à l’honneur d’anciens sanctuaires (Béthel et Dan), Jéroboam entend lutter contre l’influence exercée par Jérusalem : au lieu de l’Arche qui “localise” la Présence du Seigneur (cf. Ex 25,22), il fait les taureaux (les “veaux”), comme supports de la divinité. Comme le dit F. CASTEL :
“Il ne s’agit pas d’adorer les taureaux, mais de rendre la présence de Dieu sensible, ,il faut trouver un équivalent à l’Arche.” (op. cit. p. 67)
Mais pour les auteurs bibliques, Jéroboam imite ainsi les Cananéens et leur culte de Baal-Hadad; il y a donc danger de syncrétisme pour les fidèles (cf. 12,28 +). Un danger que les prophètes dénonceront plus tard comme “le péché originel” du royaume du nord, (cf. Os 13,2), et donc, comme la cause de sa ruine.
la fin des deux royaumes (722 et 587)
A partir de la séparation de Sichem (1 R 12), les livres des Rois nous donnent en parallèle, et généralement très brièvement, les différents règnes dans le sud et dans le nord.
Tous les rois du nord sont présentés comme faisant ce qui déplaît au Seigneur en “ne se détournant pas des péchés de Jéroboam, fils de Nébat, où celui-ci avait entraîné Israël”. Dans la succession des rois du nord, on peut noter deux périodes particulièrement troublées : la première entre les règnes de Jérobaom I et Omri (1 R 15, 25 – 16, 22) et la seconde qui suit le règne de Jéroboam II (2 R 15, 8 -31).
Les rois du sud sont également jugés d’après leur fidélité plus ou moins grande au modèle laissé par David. Trois d’entre eux reçoivent un éloge sans restriction : Asa (1 R 15, 11ss), Ézéchias (2 R 18, 3-4) et Josias (2 R 22, 2). Dans le sud, la succession dynastique se fait presque sans interruption (sauf le règne d’Athalie (2 R 11).
Quelques événements marquants de ces règnes sont signalés : ainsi la campagne du pharaon Sheshonq contre Jérusalem (1 R 14, 25-25), la guerre entre Juda et Israël et le recours au roi de Damas (1 R 15, 16-22), les guerres avec Aram (1 R 20; 22), la guerre avec Moab (2 R 3), l’histoire de Jéhu (2 R 9-10), la prise de Samarie et la destruction du royaume du nord ( 2 R 17, 5 – 41), la campagne de Sennachérib sous Ézéchias (2 R 18. 13 – 20, 19), la réforme de Josias (2 R 22-23) et enfin les événements qui ont marqué la fin du royaume du sud (2 R 24-25).
A côté des rois, ces Livres nous parlent également des grandes figures prophétiques : Élie (1 R 17-19; 21) et Élisée (2 R 2; 4-8).
2) Les royaumes d’Israël et de Juda devant l’histoire
Les questions que les historiens se posent au sujet de David et Salomon ont des répercussions immédiates sur la suite de l’histoire.
Alors que la Bible nous parle de la division entre le sud et le nord comme d’une sanction des fautes de Salomon (1 R 11, 29-39) et comme le péché de Jéroboam (1 R 12, 26-33) qu’imiteront tous ses successeurs, les historiens voient les choses autrement.(cf. sur ce point D. Noël dans CE 109, p. 27)
– Le cadre international
Pour cette période, le cadre paraît assez restreint :
– au sud, l’Égypte, qui avec l’avènement de Sheshonq (945-924) veut reprendre le contrôle de son glacis asiatique. C’est ce qui explique la campagne mentionnée en 1 R 14, 25-27 (le point de vue de Jérusalem) et connue, côté égyptien, par l’inscription de Karnak.(voir J.-L. Ska, p. 91-92; cf aussi D. Noël, dans CE 109, p. 29)
– au nord, le royaume araméen de Damas : allié d’Israël en cas de menace assyrienne mais son concurrent lorsque l’Assyrie est repoussée. Or au début de cette période, l’Assyrie n’intervient pas dans cette région.
– entre les deux, les états vassaux Édom, Ammon, Moab, qui reprennent leur liberté; de même les Philistins, refoulés par David, qui reprennent leur place.
Dans ce cadre, nous trouvons les deux royaumes dont parle la Bible :
Le royaume de Juda, qui est un petit territoire, relativement pauvre et à l’écart des grands axes de communication. Il bénéficie de son unité tribale, d’où sa stabilité dynastique. Mais sa capitale, Jérusalem, se trouve très près de la frontière nord. Le danger lui vient donc d’Israël (cf. 2 R 15, 16-22).
Beaucoup plus grand, plus riche, plus peuplé, le royaume d’Israël éclipse pratiquement celui de Juda pendant plus d’un siècle. Mais il est ouvert sur le nord et il attire, par sa situation géographique et par ses richesses, les convoitises des Araméens, puis celles des Assyriens. D’autre part, il est composé de différents groupes, d’où une instabilité politique chronique.
– Les deux royaume (Israël et Juda) au 10e-9e siècle
Durant cette période, c’est le royaume du nord qui apparaît surtout dans les documents extra-bibliques que nous connaissons. Nous nous contenterons de mentionner ici quelques grandes figures de ce royaume ainsi que des documents qui confirment ou complètent ce que la Bible nous disait de cette époque.
– Le premier grand roi d’Israël, après Jéroboam, sera OMRI (886-875). C’est lui qui achète la colline de Shémer et y construit Samarie, qui sera désormais la capitale du royaume (1 R 16, 24). Les fouilles archéologiques confirment son importance :
“plus proche des grandes voies commerciales du temps et dans une position intéressante du point de vue économique et stratégique (…) politiquement, économiquement et culturellement beaucoup plus importante que Jérusalem.” (J.-L. Ska, p. p. 93; cf. aussi D. Noël, op. cit. p. 31)
Plusieurs siècles après sa mort, on parlera encore du royaume d’Israël comme de la “maison d’Omri”. C’est encore le cas pour Téglat-Phalassar III, en 732 (cf. Supp. CE 69, p. 66)
– Son fils ACHAB (875-853) est plus connu des lecteurs de la Bible à cause de ses démêlés avec Élie. Dans la Bible, Achab est le “modèle” de l’impiété (1 R 16, 29-34), mais devant l’histoire, il est une figure importante. Son mariage avec Jézabel, fille du roi de Sidon (1R 16, 31) a une signification politique et économique. L’archéologie montre comment il continue l’oeuvre de son père à Samarie ainsi qu’en fortifiant sa frontière nord (Hasor) et l’accès à la vallée du Jourdain (Mégiddo).
Il fait partie de la coalition anti-assyrienne lors de la campagne de Salmanasar III qui mentionne dans son inscription la présence d’Achab et de 2000 chars et 10.000 soldats à la bataille de Qarqar (853 avant J.-C.) (voir le texte dans Supp. CE 69, p. 54) dont la Bible ne nous parle pas.(sur cette bataille et les conséquences pour l’histoire d’Achab, cf. J.-L- Ska, p. 94-96)
– Parmi les documents intéressants pour cette période, on peut mentionner la stèle de Mesha, découverte en 1868, qui nous renseigne sur les rapports entre Israël et Moab au temps d’Achab et de ses successeurs. Ce roi moabite nous est connu par la Bible qui nous parle de sa révolte (2 R 1,1) ainsi que la campagne qui s’en suivit (3, 4-5 et la note BJ sur le. v. 4). Les deux documents concordent sur le nom (Mesha), sa soumission à Israël et sa révolte; mais, par ailleurs, chaque document est marqué par son style et son intention propre. (voir J.-L. Ska, p.97-98; le texte dans Supp. CE 69, p. 57-58)
Un autre document de cette époque est la stèle de Dan, découverte en 1993 près des sources du Jourdain. Selon cette inscription, le roi Hazaël de Damas se vante d’avoir “tué Yoram, roi d’Israël, fils d’Achab et Akhazias, fils de Yoram, roi de la maison de David.” Ce texte peut éclairer un autre passage biblique (2 R 8, 28-29) où il est question d’une campagne, menée par les rois d’Israël et de Juda, contre les Araméens.(sur ce point, voir J.-L. Ska, p. 99-100)
– Les chapitres 9-10 du deuxième Livre des Rois parlent longuement de JÉHU et de la manière dont il prit le pouvoir, mettant fin à la dynastie des omrides. De ce roi, les documents assyriens nous apprennent qu’il dut payer tribut et ils nous en donnent même une représentation, sur l’obélisque de Salmanasar III. (sur Jéhu, voir J.-L.Ska. p. 100-105) On retrouve encore son nom dans un liste de rois soumis à Salmanasar en 841.(cf. textes dans Supp. CE 69, p. 58-59)
– Toujours selon les documents assyriens, JOAS, doit payer tribut à Adad-Nérari III (811-783). La Bible ne parle pas de ce tribut, mais elle signale les guerres qu’il mena contre Juda (2 R 13, 12 et 14, 8-14) ainsi que contre Damas (2 R 13, 22-25). (sur ce roi, voir J.-L. Ska, p. 105-106)
– La Bible ne parlera des tributs payés à l’Assyrie qu’à partir de Téglat-Phalasar III (745-727) et le premier roi mentionné, dans la Bible, comme tributaire sera MENAHEM (2 R 15, 20 et note BJ). (cf. textes dans Supp. CE 69, p. 63-64)
– Israël et Juda au 8e siècle
“La première moitié du VIIIe s. connaît un relâchement de la pression des deux puissances, l’Assyrie et Aram; ce qui permet aux royaumes d’Israël et de Juda d’entreprendre une politique de reconquête tous azimuts et de progrès économique. [ … ] Comme à l’époque omride, Israël tient pratiquement Juda sous sa tutelle. Les relations s’améliorent sous Jéroboam II. L’absence quasi totale de l’Assyrie dans la région palestinienne explique la faible documentation pour cette période de 800 à 750, qui se limite aux textes bibliques et aux ostraca de Samarie.” (D. Noël, CE 109, p. 37)
– En effet, 2 R 14, 23 – 15, 7 nous signale les deux longs règnes – presque contemporains – de Jéroboam II en Israël (783-743) et d’Ozias en Juda (781-740). A cela correspond, surtout pour le royaume de Samarie, une période de prospérité. Le livre d’Amos nous en montre la face sombre : un fossé se creuse entre riches et pauvres; les nouvelles charges de l’état royal (fiscalité. armée, domaine royal [cf. 1 R 21] etc.) créent des tensions entre les paysans et les classes de fonctionnaires et de marchands. L’archéologie confirme sur certains sites cette rupture de la solidarité ancienne des clans.
“Les fouilles de Tell-el-Farah (Tirça) montrent qu’aux Xe et IXe s., toutes les maisons sont construites sur le même plan : on ne peut distinguer riches et pauvres. Mais IXe et VIIIe s., un contraste apparaît entre un quartier pauvre et des maisons riches, bien bâties en pierre de taille, avec un mur pour les séparer du reste de la ville. “(D. Noël, CE 109, p. 38)
Tout ceci nous aide à mieux connaître ce royaume qui vit ses dernières années et qui va bientôt disparaître sous la poussée des Assyriens.
– La fin du royaume du nord : 721
La grande expansion de l’Assyrie commence avec Téglat-Phalasar III (745-727). Entre 740 et 730, l’Égypte n’a pas les moyens d’intervenir en Canaan. A la même époque, le royaume du nord sombre dans l’anarchie : Jéroboam II vient de mourir (743) et, en dix ans, 5 rois vont se succéder à Samarie (cf. 2 R 15,8-31) plongeant le pays dans la guerre civile. Il n’est donc pas question de résister à l’Assyrie : Menahem paie tribut en 738, comme le notent la Bible (2 R 15, 19-20) et les documents assyriens.(cf. 2 R 15, 19-21 et la note BJ; pour le texte assyrien, Supp. CE 69, p. 63-64)
Mais la crise continue dans le royaume : Péqahya, qui succède à Menahem, est assassiné par Péqah (2 R 15, 25), après deux ans de règne.
Avec Damas et d’autres petits états de la région, Péqah forme un coalition contre l’Assyrie, dans laquelle il voudrait entraîner aussi le roi de Juda, Achaz. Devant le refus de celui-ci, Damas et Israël marchent contre Jérusalem (guerre syro-éphraïmite : cf. 2 R 16, 5; Is 7-8); Achaz fait alors appel à Téglat-Phalasar (2 R 16, 7-9), en dépit des conseils d’Isaïe.
Le roi d’Assyrie accourt; il s’empare de Damas (732) et d’un certain nombre de cités de Galilée (2 R 15,29) (cf. CE 109, p. 41)et il aurait probablement détruit tout le royaume du nord si Péqah n’avait été assassiné par Osée (2 R 15,30), qui se rend immédiatement et paie tribut (2 R 17,3); cf. aussi les textes assyriens (cf. Supp. CE 69, p. 66 et 68)
Mais à la mort de Téglat-Phalasar III (727), Osée se révolte et refuse de payer tribut (2 R 17,1-4) pensant pouvoir compter sur l’aide de l’Égypte. Salmanassar V attaque, et malgré la reddition d’Osée (724), il occupe le pays. Samarie résiste pendant deux ans, mais en 722/721 la ville est prise et ses habitants sont déportés (2 R 17,5ss), tandis que d’autres populations seront plus tard implantées, qui mêlées aux survivants du royaume du nord, deviendront les futurs “Samaritains” (cf. 2 R 17,24ss et note BJ). Sur ces événements, (voir les textes assyriens, dans Supp. CE 69, p. 69)
“L’archéologie montre que plusieurs villes israélites ont été réduites en dimension, voire abandonnées et on en conclut à une forte diminution de la population. En Juda, au contraire, à la même époque, on constate une croissance démographique, que l’on attribue à l’afflux des réfugiés. A l’époque d’Ezéchias, Jérusalem développe un nouveau quartier, sur la colline ouest et les traditions du nord vont venir se confronter à celles de Juda.” (D. Noël, CE 109, p. 45)
– La fin du royaume du sud : 587
En refusant d’entrer dans la coalition anti-assyrienne (2 R 16,7) et par son appel à Téglat-Phalasar, Achaz avait assuré momentanément la survie de Juda, mais il était désormais vassal de l’Assyrie avec toutes les conséquences que cela impliquait (cf. 2 R 16, 7-18 et les notes BJ sur les v. 7 et 18). (Cf. aussi les documents assyriens, dans Supp. CE 69, p. 73-74)
Pendant un siècle et demi, le royaume de Juda va donc subsister et il essaiera, le cas échéant, de profiter des moments de faiblesse de l’Assyrie (voir le Tableau chronolique de BJ qui mentionne un roi à Babyllone de 721-711 et en 703) pour retrouver une certaine autonomie. Mais pour le moment, Sargon II (722/1-705) continue la politique de son père et consolide sa position sur la côte méditerranéenne. En 720, il bat les Égyptiens et leurs alliés philistins, à Rafia. La Bible ne mentionne pas cette bataille, mais Is 14, 28-32 et 20, 1-6 pourraient y faire allusion (cf. J.-L. Ska, p. 110-111)
En Juda, deux rois vont marquer l’histoire et donner au royaume ses dernières années de liberté et de grandeur : Ézéchias et Josias.
Le règne d’Ezéchias
Ézéchias (2 R 18, 1ss) succède à Achaz en 715. (sur les difficultés de la chronologie, voir D. Noël : CE 109, p. 44) Avec prudence, il concentre d’abord son effort sur le renouveau religieux et moral de Juda. Grâce à sa fidélité à Yahvé et à un nationalisme intransigeant, il espère rallier les Israélites du nord, restés dans le pays. C’est probablement sous son règne que les anciennes traditions du nord et du sud sont combinées (cf. JE); peut-être est-ce aussi à cette époque que se prépare le Deutéronome.
A la mort de Sargon (705), l’Assyrie connaît les troubles habituels de succession et la situation semble particulièrement favorable pour les états soumis pour tenter de retrouver leur liberté. Mérodak-Baladan – qui avait été battu par Sargon II – s’empare de nouveau du trône de Babylone et il envoie des ambassadeurs à Ézéchias (2 R 20,12-19), sans doute pour l’inviter à secouer le joug assyrien.
De fait, Ézéchias va prendre une part active à la révolte qui s’est propagée sur la côte de la Méditerranée (2 R 18, 7-8). Il se prépare aussi à subir les contrecoups de cette politique en renforçant Jérusalem (cf. Is 22, 10) et en assurant l’approvisionnement en eau par le percement du canal de Siloé : 2 R 20, 20 et le texte de l’inscription retrouvée en 1880. (cf. Supp. CE 69, p. 79; voir aussi D. Noël, CE 109, p. 46)
Sennachérib affronte successivement ceux qui se sont révoltés contre son pouvoir. Il rétablit l’ordre en Babylonie (702) puis il intervient en Palestine (701) où il frappe durement (destruction de plusieurs villes, dont Lakish) et, selon ses propres termes “il enferme Ézéchias [dans Jérusalem] comme un oiseau dans sa cage” (cf. Supp. CE 69, p. 80-81)
Le texte de 2 R 18 est difficile (cf. 18,13 +) : il semble qu’Ézéchias doive se soumettre un première fois (18,13ss), puis à la suite d’une nouvelle tentative de révolte (semble-t-il ?), Sennachérib assiège Jérusalem. Mais pour des raisons qui restent obscures, il devra renoncer et retourner en Assyrie (2 R 19). Voici ce qu’écrit D. NOËL :
“On peut en déduire que Sennachérib a réalisé une seule campagne en 701, dont le but était de mater Ezéchias. Au cours de cette campagne, toutes les villes judéennes, à l’exception de Jérusalem, ont été prises. De Jérusalem, Ezéchias a capitulé “par correspondance” en faisant parvenir sa décision à Lakish où se trouvait Sennachérib. Il a été contraint de payer tribut. Tout ceci est confirmé par la documentation assyrienne ». (D. Noël, CE 109, p. 47)
Selon Hérodote, le départ de Sennachérib serait dû à une invasion de rats, c-à-d. la terreur de l’époque, la peste. Par ailleurs, Sennachérib doit rentrer d’urgence pour lutter contre une nouvelle révolution de palais.” (cf. Castel, p. 120)
Malgré ce “demi-échec” devant Jérusalem, l’Assyrie est en pleine remontée et elle va même étendre son contrôle jusqu’en Égypte. Dans ces conditions, on comprend que la position de Manassé, qui succède à Ézéchias, est peu confortable : ce roi figure régulièrement dans les listes des vassaux assyriens (cf. Supp. CE 69, p. 85 et 87)
L’Assyrie : cruauté et culture
L’Assyrie nous est présentée dans la Bible comme un peuple puissant et cruel; dans les textes assyriens, qui nous sont parvenus, les rois se vantent eux-mêmes de leur cruauté : ainsi Assurbanipal (669-639) :
“Le reste des gens, là ils avaient massacré Sennachérib, là même aussi, en sacrifice funéraire, je les massacrai. Leurs chairs dépecées, je les fis manger aux chiens, aux porcs, aux vautours, aux aigles, aux oiseaux du ciel, aux poissons de l’abîme. (…)
Sur l’ordre d’Assur et de Bélit, avec le couteau tranchant que tient ma main, je perçai sa mâchoire (du roi rebelle). Dans son menton, je fis passer une corde, je lui mis une chaîne de chien et je lui fis garder la cage à la grande porte de l’est qui se trouve à Ninive.” (voir Supp. CE 69, p. 71)
Pourtant, ce peuple est aussi un peuple d’une grande culture, qui nous en impose encore aujourd’hui, par ses constructions et ses bibliothèques. Le palais de Sargon à Korsabad évoque bien cette grandeur :
“construit en sept ans, il se dresse sur une terrasse de 14 à 18 mètres de hauteur, couvrant près de 90 hectares. 209 salles, 31 cours ou esplanades … C’était une citadelle puissamment fortifiée, et un temple, dominé par une ziggourat de 7 étages de couleurs variées : blanc, noir, rouge, bleu, blanc, vermillon, argent et or. Le temple groupait 6 sanctuaires des dieux Sin, Adad, Ea, Shamash, Ninourta et Ningal. Chacun des sanctuaires comprenait trois pièces à peu près de la taille de celle du Temple de Jérusalem : un portique, une chambre et un Saint des Saints surélevé qui contenait la statue du dieu. Jamais rien, hormis les pyramides égyptiennes, n’avait été créé d’aussi grandiose que ce palais de Sargon.(cf. Cahiers Evangile (première série) no. 8. p. 43)
La bibliothèque d’Assurbanipal contenait plus de 30.000 tablettes d’argile représentant au moins 5000 ouvrages, parmi eux Enuma Elish (le récit de la création), l’épopée de Gilgamesh (déluge). (Sur ces textes, Supp. CE 64, p. 9ss)
Les règnes de Manassé et Amon
Le règne de Manassé (697-642), le plus long des règnes bibliques, est présenté comme ce qui peut arriver de pire en Juda. Les mesures religieuses de Manassé peuvent s’expliquer par une opposition à la réforme d’Ezéchias, peut-être sous la pression populaire; au moins au début, elles ne peuvent guère imputées à Manassé qui avait 12 ans à son avènement.
Amon (642-640) succède à Manassé, mais il est assassiné après deux ans de règne; cf. 2 R 21, 19ss.
Le règne de Josias
Josias (640-609) est le dernier roi qui marque cette période de l’histoire d’Israël : encore enfant (8 ans) quand il est nommé roi – ce qui laisse les mains libres au parti qui l’a mis en place et qui voulait peut-être reprendre la politique d’Ézéchias, par-dessus le règne de Manassé – Josias pourra profiter de la fin du royaume d’Assur. En effet, à partir de 650, l’empire assyrien connaît une rapide désagrégation. (sur Josias, voir encore D. Noël dans CE 109, p. 51-52)
Josias amorce alors une importante réforme religieuse et politique (2 R 22-23), marquée par la découverte dans le Temple du “livre de la Loi” , qui devrait correspondre à Dt 12-26 (2 R 22, 8 +). Josias tente de refaire le royaume de David (2 R 23,15 +) et de tout centrer sur Jérusalem, y compris le culte (cf. Dt 12,5 : unité de sanctuaire; d’où la destruction des autres lieux de culte, comme en témoigne, au plan archéologique, le temple d’Arad.(cf. F. Castel, p. 124-126)
Mais le déclin de l’Assyrie (Assur est détruite en 614, Ninive en 612), ne signifie pas le retour à la liberté pour les petits états des bords de la Méditerranée : Babylone prend rapidement la relève en Mésopotamie et veut s’emparer de Haran, où s’est replié le pouvoir assyrien. L’Égypte, qui comprend le danger que représente pour elle une nouvelle grande puissance mésopotamienne, se porte au secours de l’Assyrie. (cf. Supp. CE 69, p. 88) C’est à l’occasion de cette campagne du pharaon Nékao II que Josias perd la vie à Meggido (609) : Est-ce un assassinat parce qu’il était favorable aux Babyloniens, comme pourrait le laisser entendre 2 R 23, 29 + ? Ou bien, a-t-il été tué au combat en voulant s’opposer au pharaon ? (sur cette question, voir D. Noël, CE 109, p. 52) De toutes façons, il ne reste plus, à l’époque, que deux grandes puissances : l’Égypte et Babylone, et Juda passe, pour un court temps (609-605), sous le contrôle égyptien (2 R 23, 31ss) avant de devenir le vassal de Babylone (2 R 24, 1 +) :
“ en 605… Nabuchodonosor… défait les dernières troupes assyriennes et égyptiennes à Karkémish. Il poursuit alors l’Égypte et prend au passage le contrôle de la Syrie et de la Palestine. Yoyakim paiera tribut à Babylone.” (F. Castel, p. 131; voir encore D. Noël, dans CE 109, p. 52-53)
La prise de Jérusalem et la fin du royaume
En effet, après la victoire à Karkémish (mai/juin 605) sur les Égyptiens, Nabuchodonosor se soumet toute la Syrie-Palestine, et Joiaquim doit lui payer tribut (cf 2 R 24. 1). Une révolte tentée en 601 aura des conséquences désastreuses (2 R 24, 2-4); en 598, Joiaqim meurt (ou, alors, il est assassiné ? : cf. Jr 22, 19; 36, 30); son fils Joakin peut encore lui succéder, mais ce ne sera que pour trois mois. En 598/7, Nabuchodonosor prend Jérusalem, dépose Joiakin et établit Sédécias comme roi (2 R 24, 17 +). (pour les documents babyloniens, voir Supp. CE 69, p. 91) Il déporte une partie de la population (première déportation “sélective”) : 2 R 24, 10-17.
A l’instigation de l’Égypte, la révolte reprend en Palestine de 594 à 587. Nouvelle campagne de Nabuchodonosor, et malgré une intervention égyptienne, (sur cette période, voir D. Noël, dans CE 109, p. 54; cf. aussi les ostraca de Lakish dans Supp. CE 69, p. 92-93), c’est la prise de Jérusalem, le 29 juillet 587. Sédécias, qui a fui, est rattrapé dans les plaines de Jéricho et traduit en jugement (2 R 25, 4-7); quelque temps plus tard, la ville sera détruite, le Temple brûlé et une deuxième déportation frappe Jérusalem (2 R 25, 1ss).
La Judée devient alors une province babylonienne : à la place de Sédécias, Nabuchodonosor installe Godolias à la tête de ceux qui restent dans le pays, mais celui-ci sera bientôt assassiné (2 R 25, 22-26). Une troisième déportation (en 582) est mentionnée en Jr 52, 30. Désormais la province de Juda est abolie et son territoire est rattaché à la province de Samarie.
Jérémie a été témoin de cette tragique période de l’histoire de son peuple et les chapitres de Jr 26-45 sont particulièrement riches en données historiques. (sur ce point, voir D. Noël, dans CE 109, p. 54-56)
VI. De l’Exil au Nouveau Testament (de 587 à Jésus)
“La destruction de Jérusalem et du Temple… ainsi que l’Exil qui suivit, marquent le grand tournant de l’histoire d’Israël. La disparition des institutions nationales (monarchiques) et religieuses amena une transformation radicale dans le développement du peuple élu. Mais si Israël ne sombra pas simplement dans l’oubli, c’est que grâce à sa foi, désormais purifiée et disciplinée, il survécut et trouva une voie nouvelle à suivre : dans l’exil et après l’exil est né le judaïsme.” (J. de Fraine, Nouvel Atlas de la Bible, p. 203)
C’est ce tournant et cette évolution du peuple de Dieu que nous allons étudier dans ce chapitre : une histoire qui s’étend du 6ème siècle jusqu’au temps de Jésus.
Nos sources sont ici fragmentaires : nous trouvons des allusions à cette histoire dans les livres prophétiques (Ez ; Is II et III ; Ag ; Za I et II ; Ml) et des renseignements plus étendus pour certaines époques en Esd-Ne et dans les livres des Maccabées. (On peut aussi trouvedr quelques indications intéressantes dans les livres de Dn, Jdt, Est.)
Cependant les grandes lignes que nous pourrons dégager suffiront, car la ruine de Jérusalem marque le début de la Dispersion, et par là, le côté national de l’histoire du peuple perd une partie de son importance. Désormais Israël survit avant tout dans sa pensée et ses institutions religieuses. Comme l’écrit D. NOËL :
“En toutes rigueur de termes, on ne peut plus parler d’histoire d’Israël pour la période qui suit la prise de Jérusalem (587) et s’étend jusqu’à l’avènement d’Antiochos IV (175). […] A partir de 587, l’emploi du nom Israël persiste, mais le terme ne peut plus recouvrir les habitants d’un territoire précis. Il peut alors désigner aussi bien des populations déportées en Babylonie, réfugiées ou installées en Égypte, que celles qui demeurent en Palestine.” (D. Noël, dans CE 121, p. 5)
Nous parlerons d’abord de l’Exil (1), puis de la période perse (2), ensuite de la période grecque (3). Nous terminerons par quelques point de repères sur la période romaine (4).
1) De l’Exil au Nouvel Exode : sous les Babyloniens (587 – 538)
– La situation en Judée : l’importance du désastre de 587 peut difficilement être exagérée. Même si la déportation ne fut pas totale, elle vida le pays de ses forces vives. Aux trois déportations : 598 (2 R 24, 10ss), 587 (2 R 25,11ss) et 582 (cf. Jr 52,28ss), il faut ajouter la fuite vers l’Égypte de ceux qui voulaient encore échapper aux Babyloniens. (sur la chute de Jérusalem et ses conséquences, (voir D. Noël, CE 121, p. 9-14)
Les dégâts matériels étaient également importants : presque toutes les villes de la Shéphélah et du centre furent rasées au sol; seules échappèrent quelques villes du Néguev et du district nord de Jérusalem.
“Après pareille dévastation, il est évident que le pays, par surcroît privé de son élite, a dû connaître une terrible régression économique.” (CE 121, p. 14)
Pour la population restée en Juda, cette période est donc une période difficile à tous points de vue, religieux y compris.
– la situation à Babylone : c’est là surtout que se trouvaient les valeurs qui allaient survivre à la catastrophe (cf. Jr 24). Transplantés à Babylone, les déportés – surtout ceux de 598 – avaient été invités à s’installer, car le retour ne devait pas être immédiat (cf. Jr 29, 4-15). Parmi eux se trouvait l’élite politique, religieuse et intellectuelle de la nation. C’est de ce groupe que sortiront les artisans d’une remarquable renaissance d’Israël.
Après les humiliations et les souffrances des débuts, certains réussirent à se créer une situation acceptable à Babylone; on connaît même des exemples de réussite, comme cette famille Murashu, dont on a retrouvé les archives à Nippur. (cf. CASTEL, p. 143; voir aussi CE 121, p. 45)
Mais surtout, grâce aux prophètes qui leur montrent le sens profond des événements (les textes de Jérémie, le ministère d’Ezéchiel, en attendant celui du Deutéro-Isaïe), les déportés surmontent leur crise de foi dans le Seigneur et conservent l’espérance du retour (cf. Ez 37; 48).
C’est également à Babylone qu’a lieu une activité littéraire importante : la relecture de l’histoire passée et la fixation des traditions du peuple. De ce travail sortira l’histoire deutéronomique (de Jos à 2 R) et les premiers textes de la tradition sacerdotale.
Enfin, dans l’attente de la reconstruction du Temple, la vie religieuse du peuple s’organise en exil avec le sabbat et le culte centré, non plus sur les sacrifices, mais sur la prière et la méditation de la Parole (synagogue).(sur ce point, voir Cl. Tassin dans CE 55, p. 32-34 et 50-51)
– Les annonces du changement : à mesure que le prestige et la stabilité de l’empire babylonien de dégradent, l’espoir d’un retour prend corps chez les déportés.
Jusqu’à sa mort (562), Nabuchodonosor fut capable de maintenir et même d’étendre son empire jusqu’en Égypte. Mais sa mort ouvre une période de déclin rapide : 3 successeurs en 7 ans ! (voir aussi CE 121, p. 18-20)
En 556, Nabonide arrive au pouvoir, mais descendant d’une famille araméenne de Harrân, il est un dévot du dieu Sîn (Lune) dont il favorise le culte, ce qui lui vaut l’opposition du puissant clergé de Marduk à Babylone. Il augmente encore son impopularité en passant 10 années (entre 550 et 540) à Teima, une oasis d’Arabie, en dehors de Babylone. (sur les raisons de ce séjour, voir CE 121, p. 19; cf. aussi dans Spp. CE 69, p. 96-97)
Or vers 555, CYRUS d’Anshan (sud de l’Iran) se révolte contre le roi des Mèdes. Nabonide lui apporte d’abord son aide dans l’espoir d’affaiblir les Mèdes. Mais Cyrus réussit trop bien : en quelques années, il s’empare de l’empire mède, puis conquiert tout le pays au nord de Babylone jusqu’à la Méditerranée (en 546, il triomphe de Crésus et prend la Lydie). Babylone est désormais à portée de sa main. ( sur l’ascension e Cyrus, voir CE 121, p. 20-21)
On comprend les sentiments des déportés aux nouvelles des victoires de Cyrus (cf. Is 41,1ss; 45, 1ss), qui le rapprochent de Babylone.
Nabonide essaie de regagner la popularité en organisant en 539 la Fête du Nouvel-An à Babylone. Mais il est trop tard : en octobre de cette même année (539) a lieu une bataille décisive à Opis (sur le Tigre), ouvrant à Cyrus les portes de Babylone.
Quelques semaines plus tard, Cyrus entre à Babylone en libérateur; il respecte les susceptibilités religieuses, restaure le culte de Marduk et il est reconnu comme roi légitime de Babylone, où il installe son fils Cambyse comme son représentant.
“ Le Cylindre de Cyrus insiste sur l’entrée paisible à Babylone et l’accueil enthousiaste des populations, justifié par le renouveau des dieux négligés par Nabonide. La théologie sous-jacente considère Cyrus comme libérateur, envoyé par Mardouk, et s’apparente fort à la théologie d’Is 40-55 dans le regard qu’il porte sur le même Cyrus.” (CE 121, p. 20-21)
Dès la première année de son règne, Cyrus publie un décret autorisant la restauration de la communauté et du culte juif en Palestine; le Temple doit y être reconstruit aux frais du trésor royal et les vases emportés par Nabuchodonosor doivent être restitués (cf. Esd 1,1-4). (cf. encore Castel, p. 142-143. Sur l’Edit de Cyrus, voir les remarques de D. Noël, CE 121, p. 24-25)
Le retour du premier groupe des “sionistes” dut avoir lieu peu après le décret. Combien de Juifs profitèrent-ils du décret :
“Esdras parle tantôt de 29.818 hommes, tantôt de 42.630 personnes en tout; c’est sans doute ce dernier chiffre qui peut être retenu” (Castel, p. 143)
Mais selon D. NOËL, les listes données par Esd 2 ne concernent pas le premier retour, mais une vague postérieure à laquelle appartiennent Zorobabel, Josué et Néhémie :
“Le retour semble s’échelonner par étapes à partir de 537, et peu de Judéens sont rentrés immédiatement au pays. Lorsque le prophète Aggée dénonce l’inertie des Judéens qui tardent à remettre le Temple en service, il s’en prend au fait qu’ils font passer leurs affaires privées avant le rétablissement du culte. L’inertie dénoncée est-elle pour autant la seule cause du retard ? Ne faut-il pas surtout invoquer le nombre insuffisant des Judéens revenus au pays ? Les appels de Zacharie pour inviter les déportés à rentrer (Za 2, 10-11) aux alentours de 520, montrent également que le retour n’est pas pour eux une priorité.” (CE 121, p. 26-27)
2) Dans l’empire perse (538-333)
Dans l’empire perse, qui s’étend de la Macédoine à l’Indus, la Judée de l’époque est une petite province de 25 à 30 km de rayon, centrée sur Jérusalem.
– les joies et les difficultés du retour : cette libération annoncée et magnifiée dans le Deutéro-Isaïe ne s’est donc pas faite sans une certain désillusion; cela tient à plusieurs causes :
. l’hostilité des voisins, en particulier de l’aristocratie de Samarie, qui ne voyait pas d’un très bon oeil ce retour et ce regroupement en Juda (cf. Esd 4);
. Aggée et Zacharie soulignent également la mésentente entre les déportés – qui se considèrent comme les représentants de la tradition juive – et la population qui était restée dans le pays (les am-ha-aretz) (cf. Tassin dans CE 55, p. 16-17) qui avait occupé les terres “libres”.
Le premier souci des “sionistes” est la reconstruction du Temple et la restauration du culte. Malgré les difficultés locales (cf. Ag 1-2) et les intrigues samaritaines (cf. Esd 4,3-5; 4,24; 5, 6-17), ils obtiendront de Darius, successeur de Cambyse, la confirmation du décret de Cyrus (Esd 6,1ss) et, en 515, ils pourront célébrer la dédicace du (Second) Temple ( Esd 6, 15ss). (Sur la reconstruction du Temple, voir encore CE 121, p. 34-36)
Certains rêvent aussi d’une restauration politique (cf. Za 4,1ss; voir la note de BJ sur 4,14), mais elle n’aura pas lieu : le pays continue d’être administré comme une subdivision de la province de Samarie. A ce sujet, D. NOËL écrit :
“Il [Zorobalel] jouit d’une autorité reconnue par Aggée et Zacharie, qui fixent sur lui une espérance messianique (Ag 2, 20-23; Za 4, 6-10). Il disparaît soudainement des textes, et l’on se demande si Zorobabel n’a pas été supprimé, comme Aryandès en Égypte (Hérodote IV, 166)”. (CE 121, p. 36)
– La réorganisation d’Esdras et de Néhémie : l’histoire qui va de la Dédicace du Temple (515) à l’activité de d’Esdras et de Néhémie est mal connue.
Dans l’histoire générale, c’est une période décisive : il suffit de rappeler ici quelques dates : Marathon en 490, Salamine en 480 et Platée en 479. (pour les données historiques, voir CE 121, p. 37-38)
Pendant cette période, en Judée, les difficultés continuent : tracasseries des Samaritains; attaques des Édomites (cf. Intr. à Abd). Vers 485 (cf. Esd 4,6), les Juifs prennent l’initiative de rebâtir Jérusalem mais les autorités de Samarie interviennent auprès de la cour perse et obtiennent l’arrêt immédiat des travaux (cf. Esd 4,6-23).(voir aussi CE 121, p. 39-41)
Ces difficultés et les désillusions qui s’en suivent, amènent aussi un relâchement de la vie religieuse et morale (cf. Ml 1-2 et Ne 5). C’est alors que deux hommes Néhémie et Esdras, vont par des mesures énergiques, donner au peuple un fondement pour son avenir.
La première mission de Néhémie peut être datée avec certitude : la 20ème année d’Artaxerxès, c-à-d. 445 (Ne 2,1), tandis que l’activité d’Esdras pose des problèmes chronologiques non encore résolus : la 7ème année d’Artaxerexès I ou II ? ou alors une correction du texte :
– la BJ corrige : la 37ème année d’Artaxerxès I, soit 427
– la TOB prend la 7ème année d’Artaxerxès II , soit 398
Mais il semble certain que l’activité de Néhémie a précédé celle d’Esdras.
“L’hypothèse adoptée majoritairement de nos jours place toute l’activité de Néhémie avant celle d’Esdras soit, pour la première mission de Néhémie (445-433), la seconde, plus brève et de durée indéterminée, se situant après 433 et, pour la mission d’Esdras 398. Il faut toutefois rappeler que l’ancrage historique de ces personnages est plus souvent flottant que solide. Pour la seconde mission de Néhémie, notamment, les attaches avec la période perse sont particulièrement ténues, au point qu’on peut envisager la possibilité d’une fiction de l’époque maccabéenne, en invoquant 2 M 2, 13-14.” (CE 121, p. 33)
Cependant plus qu’une question de chronologie de leur mission, c’est l’oeuvre de ces deux hommes qui nous intéresse, car ils sont les artisans de la restauration et les fondateurs du Judaïsme.
Néhémie est un laïc, parvenu à un poste élevé d’échanson royal. C’est un homme plein d’énergie, intelligent et dévoué à la cause de son peuple.
Il apprend par une délégation, en 445 (cf. Ne 1,1ss), l’état lamentable de la Judée et il entreprend une démarche audacieuse, demandant au roi la révocation d’un édit antérieur et la permission de reconstruire Jérusalem, (cf. Ne 2,1-8). Dans la suite, il sera nommé gouverneur de Juda.
Cet intérêt, à cette époque, pour Jérusalem de la part d’Artaxerxès I, peut s’expliquer :
“Tout au long de son règne, il devra envoyer ses généraux mater les révoltes tant en Égypte qu’en Transeuphrate, c-à-d. en Syrie-Palestine. Les peuples soumis savent, en effet, qu’ils peuvent compter sur le secours actif des Grecs.
C’est dans ce contexte d’insécurité que le roi perse va s’intéresser au sort de Jérusalem dont les murailles ne sont toujours pas relevées. Jérusalem pourrait devenir un bon observatoire tant de l’Égypte que de la Syrie. A Suze, le juif Néhémie a su gagner la faveur du roi; il plaide la cause de Jérusalem et obtient du roi une mission officielle pour reconstruire l’enceinte de la ville. Ce qui pour Artaxerxès est un acte politique, est interprété par Néhémie comme un acte de foi.” (Castel, p. 149)
On comprend que cette mission de Néhémie n’était pas pour plaire aux notables de Samarie, ni aux voisins de Juda. Et ce n’est pas sans peine que Néhémie parviendra à relever les murs de la ville “la truelle d’une main et les armes de l’autre” (cf. Ne 4,10ss).
Les adversaires de Néhémie avaient d’ailleurs des complicités à Jérusalem (cf Ne 6,17ss) jusque parmi les prêtres (Ne 3,33-4,17) et les prophètes (Ne 6, 10-14).(voir CE 1221, p. 39-41)
Jérusalem rebâtie, il fallait encore la repeupler : chaque localité devra envoyer le dixième de ses habitants (cf. Ne 7,4 +; cf. 11,1-2).
Mais Néhémie devra aussi réprimer les abus, les désordres sociaux dus à la situation économique précaire (cf. Ne 5).
Dans une seconde mission, vers 425, il s’en prend à ceux qui ne paient pas la dîme , ne sanctifient pas le sabbat ainsi qu’aux mariages mixtes (Ne 13; cf. aussi Ne 10). Sur ces mesures et la manière de les appliquer, C. TASSIN écrit :
“A leur décharge, notons que les procédés dont usent Esdras et Néhémie n’ont rien d’exceptionnel dans le contexte des cités d’alors, très soucieuses de leur pureté ethnique. […] Par comparaison, les contrevenants d’Esd 10, 8 et Neh 13, 25, s’en tirent à bon compte.” (dans CE 55, p. 19)
Esdras est un prêtre, secrétaire pour les affaires juives à la cour perse (Esd 7,12 +); il est envoyé à Jérusalem à la tête d’un groupe important de Juifs (Esd 8,1 +) et muni d’une autorisation spéciale du roi (Esd 7,11 +).
La principale activité dont il fait mention dans son mémoire (Esd 9-10) concerne les mariages mixtes (cf. Esd 9,1 +). Mais Ne 8 nous le montre dans son rôle de prêtre, lisant la Loi au peuple (la tradition juive fait de lui l’ancêtre des scribes) et, c’est avec lui, que la Torah devient loi d’état : Esd 7,26.
“En dépit de sa brièveté, cette dernière partie [du décret d’Artaxerxès : Esd 7, 25-26] est capitale pour comprendre l’oeuvre législative et réformatrice d’Esdras, La loi judéenne, mise au point par Esdras, est en effet à la fois un texte fondateur de l’identité juive et un texte législatif qui a valeur de loi du roi (7, 26).” (D. Noël, CE 121, p. 44)
Grâce à Néhémie et à Esdras, le judaïsme est né avec ses trois pivots : la race élue, la Temple et la Loi.
“A vrai dire, tout se joue sans doute durant l’Exil. Privé du Temple, de la terre et de la monarchie, les déportés n’avaient plus pour s’identifier que des signes “transportables”, circoncision, le sabbat et les réunions autour des prêtres exilés qui entretenaient la mémoire des traditions religieuses et nationales…
Après quoi, la restauration du Temple n’avait pas opéré la renaissance escomptée. Il restait alors à Esdras de faire de la Loi le centre de ralliement de la communauté judéenne… Dans l’oeuvre d’Esdras, un nouveau trait frappe immédiatement : la Loi est un écrit, un livre consignant les commandements de Moïse.” (Cl. Tassin, dans CE 55, p. 26)
Au 4ème siècle, l’empire perse contrôle encore la situation, mais les complots se trament dans les palais et des soulèvements s’organisent dans les provinces.
En 338, Artaxerxès III meurt empoisonné. En cette même année, Philippe réussit à imposer sa domination à toute la Grèce et il pose ainsi les fondements d’un empire qui sera celui de son fils Alexandre.
3) Alexandre et la période grecque (333-63)
En 336, Alexandre, qui a lors 20 ans, succède à son père assassiné; cinq ans plus tard, l’empire perse aura pratiquement cessé d’exister.
Après une première victoire sur les Perses à Issos, près d’Alexandrette (333), Alexandre descend toute la côte de la Méditerranée jusqu’en Égypte où il entre sans peine. En 331, il fonde Alexandrie. Juda et Samarie passent ainsi sous une nouvelle domination.
En 331, Alexandre se met à la poursuite de Darius III; il bat l’armée perse près d’Arbèles et entre en triomphateur à Babylone, à Suze et à Persépolis (sur les campagnes d’Alexandre, voir CE 121, p. 47-49). Poursuivant ses conquêtes vers l’Indus, il meurt à 33 ans (323), ayant inauguré une ère nouvelle de l’Histoire (cf. la chronologie que nous trouvons en 1 M (1 M 1,10 +), l’ère des Grecs , qui commence en fait avec les Séleucides en 312-311.
“Il [Alexandre] laisse en place les structures administratives et religieuses existantes, mais en revanche, il impose la culture hellénique et l’organisation grecque de la cité dans les différents centres qu’il colonisa. ” (A. Paul, Le monde des Juifs à l’heure de Jésus, p. 21; cf. aussi p. 22-23)
– La Palestine dans l’empire grec
“Alexandre semble avoir obtenu pacifiquement la soumission des Juifs. Il leur a laissé tous leurs droits acquis sous les Perses, aussi est-il un nouveau Cyrus. Mais en même temps, Alexandre impose une conception nouvelle du monde; tous les hommes seraient citoyens de la même cité, le Cosmos; tous seraient appelés à reconnaître la Loi unique venue de Dieu.” (Castel, p. 159)
C’est à sa mort (323) que les choses vont se gâter. Alexandre meurt sans héritier; ses généraux se partagent son héritage (les Diadoques ), ce qui amène une période de troubles. Finalement l’empire d’Alexandre sera partagé en 3 parties :
– les Antigonides en Macédoine (jusqu’à la conquête romaine en 146)
– les Lagides en Égypte (jusqu’à la mort de Cléopâtre en 31)
– les Séleucides en Asie (jusqu’en 64)
La Palestine se trouve dans une zone disputée entre les Lagides (capitale : Alexandrie) et les Séleucides (capitale : Séleucie et Antioche).
– La Palestine sous les Lagides (319-200) :
En 320-319, le satrape d’Égypte, Ptolémée, occupe la côte de Syrie-Palestine :
“La politique lagide paraît devoir s’expliquer par la recherche de la maîtrise des bases commerciales de la Méditerranée Orientale: Chypre, littoral de l’Asie Mineure, ainsi que le maintien du glacis asiatique, élément stratégique traditionnel de toute politique égyptienne depuis la nuit des temps.” (cf CE 121, p. 50)
Malgré quelques interruptions, la domination lagide se maintiendra jusqu’en 200. La Palestine garde alors, semble-t-il, le même statut que sous les Perses, (voir les réserves de D. Noël, dans CE 121, p. 51) mais l’influence de l’hellénisme se fait sentir ainsi que le prestige de la langue grecque. D’autre part, à Alexandrie, les Juifs forment une forte colonie, tant par leur nombre (ils seront plus de 100.000, au temps de Jésus) que par la richesse commerciale et intellectuelle (sur les Juifs en Egypte, voir CE 121, p. 52-53). C’est là que la Bible sera traduite en grec (LXX)
“Bientôt cette communauté ne parlera plus l’hébreu, ni l’araméen; ce sera la langue grecque qui prédominera. Dès lors, il faut traduire les Livres sacrés.”(Castel, p. 140)
La Palestine sous les Séleucides (200 – 164)
Les Séleucides convoitent toujours la Palestine et on comptera pas moins de six Guerres syriennes entre 274 et 168. C’est lors de la Cinquième Guerre syrienne (202-200) que la victoire sur les Égyptiens, à Panion près des sources du Jourdain en, permet enfin à Antiochus III d’annexer la Palestine.(sur ces événements, cf. CE 121 p. 55-57)
Au départ, les choses se passent bien : le roi séleucide permet le retour des exilés, accorde une exemption d’impôts de trois ans, conserve les privilèges religieux selon le Décret d’Antiochus III, que nous connaissons par Josèphe.(pour le texte, voir Supp. CE 69, p. 108; voir encore les remarques de D. Noël sur ce texte dans CE 121, p. 56-57)
A cette époque, l’hellénisme gagne du terrain :
“C’est un art de vivre marqué par l’architecture des théâtres et des gymnases (cf 2 M 4,7-10), une forme d’éducation et une tournure d’esprit, rationalisme tolérant, ennemi du fanatisme, engendrant ce scepticisme pratique reflété par Qohélet…C’était enfin un phénomène religieux, un paganisme en quête d’une certaine universalité dans le Bassin méditerranéen.” (Cl. Tassin, dans CE 55, p. 21)
C’est sous Antiochus IV que la situation va se détériorer, et ceci pour plusieurs causes :
. la division des Juifs par rapport à l’hellénisme;
. les luttes internes pour obtenir la charge de Grand-Prêtre (cf. 2 M 4,23ss);
. l’existence à Jérusalem de partis : pro-lagide et pro-séleucide.
“L’hellénisation déjà répandue dans la Diaspora, a fait des progrès aussi en Judée même [… ] une forte partie de la classe marchande et lettrée et jusqu’aux membres de la caste sacerdotale appuient le mouvement. Antiochus croit pouvoir en profiter pour opérer une tentative de syncrétisme religieux, qui ailleurs paraîtrait normal, aux Grecs aussi bien qu’aux autres peuples polythéistes de l’antiquité. En outre, il entend mettre fin au particularisme des Juifs retranchés derrière leur statut et leur Loi.” (E. Cavaignac.P. Grelot, dans A. Robert-A. Feuillet, Introduction à la Bible, I, p. 265)
La Bible raconte comment Antiochus IV proscrit toute pratique de la religion juive (sabbat, circoncision, interdits alimentaires ) et surtout introduit dans le Temple de Jérusalem le culte de Zeus Olympien (“l’Abomination de la désolation ” de Dn) en décembre 167. Cf. 1 M 1, 41ss.
Mais la politique d’Antiochus ne se fait pas seulement sur le plan religieux :
“On sait, en effet, qu’en 167 av. J.C., il [Antiochus Épiphane] marcha sur Jérusalem, prit la ville dont il rasa les murs, puis tua ou vendit comme esclaves plusieurs milliers de ses habitants circoncis. Sur les ruine, il édifia une large forteresse, l’akra (citadelle), dans laquelle il installa une garnison grecque et une communauté composée de Juifs gagnés à l’hellénisme; il s’agissait d’une véritable «colonie militaire» ou katoïka citadine implantée dans la capitale des Juifs elle-même. Jérusalem était transformée en une cité étrangère qui fut même appelée «Antioche» tandis que l’hellénisation totale de la Judée était déclarée sans ambages. La circoncision et l’observance du sabbat étaient interdites. Des sacrifices païens furent ordonnées dans chaque ville et, vers le printemps 167 av. J.C., un autel probablement dédié à Zeus Olympien fut dressé au coeur même du Sanctuaire central.” (A. Lemaire, Le monde des Juifs à l’Heure de Jésus, p. 165)
– La révolte des Maccabées : la réaction juive ne fut pas unanime (cf. 1 M 1,52), mais un nombre important de Juifs refusa d’obéir aux ordres du roi, et parmi eux, les Assidéens ou Hassidim (cf. 1 M 2,42 +). La lutte commence avec Mattathias et ses fils (1 M 2,1 +) qui entreprennent une guerre de libération.
Utilisant la tactique de la guérilla, Judas – que Mattathias, à sa mort (en 160) avait désigné comme chef,- remporta plusieurs succès sur les armées syriennes; après trois années de lutte, il réussit à reprendre Jérusalem – à l’exception de la citadelle – et à rendre au Temple son usage sacré.
Les succès de Judas (166-160) s’expliquent par son courage et son habileté, mais aussi par des causes extérieures : Antiochus était en lutte avec les Parthes et, d’autre part, les Romains soutiennent le mouvement de révolte des Juifs (cf. 1 M 8, 1ss; 2 M 11, 34-38)(A. Lemaire, op. cit. p. 31). La purification du Temple, en décembre 164, reste marquée dans l’histoire juive jusqu’à nos jours. (cf. la fête de la Hanûkâh ).
Après la mort de Juda ( 1 M 9, 1-18), Jonathan (160-143) prend le relais; il peut profiter des luttes internes des Syriens et obtient de nouvelles concessions (1 M 10,65 +; 10,89 +; 11,30). Il devient grand-prêtre et chef militaire et civil de la Judée. Il sera assassiné en 142 (1 M 12, 39-53; 13, 14-24). (sur Jonathan, voir aussi Ch. Saulnier, dans CE 42, p. 27-29)
Simon, qui lui succède (143-134) consolide les positions; il obtient la reddition de la citadelle en 141 (1 M 13, 49ss) et interprète les concessions de Démétrius II comme une déclaration d’indépendance (1 M 13, 41ss) : avec lui, la dynastie asmonéenne est fondée.
“La phase insurrectionnelle des frères Maccabées était terminée, celle de l’État des Hasmonéens commençait. La première avait été marquée par trois faits significatifs, distants de dix ans l’un de l’autre : la liberté religieuse des Juifs reconquise par Judas en 162; le titre de grand prêtre accordé à Jonathan en 152; l’exemption d’impôts concédée à Simon en 142. Il manquait le titre formel de «roi» pour que l’ascension politique ait atteint son sommet.”(A. Lemaire, op. cit. p. 33)
Mais le succès même des Maccabées allait diviser les Juifs : les Assidéens contestent le pouvoir réuni de grand-prêtre et de chef civil et ils se retirent (Pharisiens, cf. aussi les Esséniens ) .
Après l’assassinat de Simon – par son propre gendre, probablement à la solde des Syriens (1 M 16, 11-17), la dynastie asmonéenne continue avec Jean Hyrkan (135-104). C’est avec lui que se termine le récit biblique (cf 1 M 16, 23-24 et les notes BJ sur ces versets). Jean Hyrkan sait profiter des difficultés des Séleucides pour arrondir son royaume : Moab et la Samarie (où il détruit le Temple du Garizim) ainsi que l’Idumée, imposant la circoncision par la force.
“Les Machabées ne sont plus les champions des intérêts religieux, ce sont avant tout des nationalistes. Jean Hyrkan ne s’appuie plus sur le peuple mais sur des mercenaires.” (Castel, p. 175)
Après lui, Aristobule (104-103) prend le titre de roi; il annexe la Galilée où “il impose
la circoncision, moins pour des raisons religieuses que pour faire reconnaître son pouvoir” . (Castel, p. 176)
Avec Alexandre Jamnée (103-76), la Judée vit une période troublée où les Pharisiens représentent les valeurs traditionnelles et s’opposent au pouvoir, d’où leur popularité.
“Les Pharisiens, qui étaient devenus les grands opposants du régime à la fin de la vie de Hyrkan, se manifestèrent comme les adversaires déclarés et parfois violents d’Alexandre Jannée. Vers 90, lors d’une fête des Tentes, la foule, à dominante pharisienne assaillit ce dernier d’un jet de citrons alors qu’il se préparait à sacrifier au Temple : on l’injuria en le déclarant indigne d’accomplir cet acte sacré [AJ 13, 272]. Un tel mouvement, qui était sans précédent dans l’histoire juive, fut très durement réprimé. Selon Josèphe, Jannée massacra six mille personnes. “ (A. Lemaire, op. cit. p. 37; voir aussi Castel, p. 176-177)
Salomé Alexandra (76-67) succède à son mari à la tête de l’état, tout en confiant les fonctions de grand-prêtre à son fils Hyrkan II. Selon Josèphe [AJ 13, 394], dans son testament, Alexandre Jannée demandait à sa femme de se réconcilier avec les Pharisiens
“hommes influents auprès des Juifs, capables de nuire à ceux qu’il haïssaient et de servir ceux qu’ils aimaient.”
Le règne de Salomé fut relativement pacifique. Les Pharisiens y jouèrent un grand rôle; selon Josèphe, ils “eurent le pouvoir.”
Mais à la mort de Salomé (67), son jeune fils Aristobule – mécontent d’avoir été écarté au profit d’Hyrkan II, cherche l’appui des Sadducéens (eux aussi mis à l’écart sous le règne de Salomé) et il déclare la guerre à son frère, le bat près de Jéricho et le force à abdiquer. Il revendique pour lui les titres de grand prêtre et de roi, mais sa politique est contrecarrée par un “nouveau venu”, Antipater – le fils du gouverneur de l’Idumée et le père du futur Hérode le Grand -.
Mais ce sont les Romains qui vont arbitrer le débat entre les deux frères ennemis.
“Parti pour une campagne militaire en Orient, en vue d’extirper de la Méditerranée une piraterie très dommageable pour l’économie romaine, il [Pompée] arriva à Damas en 64. Ayant pris la relève de Lucullus, il acheva une guerre victorieuse contre Mithridate du Pont et Tigrane d’Arménie, lequel avait pris le contrôle de la Syrie séleucide. Pompée allait déclarer la fin de cette dernière en l’organisant en province romaine. Il devint alors l’arbitre entre les deux causes asmonéennes opposées : celle d’Aristobule et celle d’Hyrkan (toujours soutenu par Antipater). Les deux frères vinrent plaider leurs intérêts respectifs, l’un et l’autre avec une profusion de présents […] Mais Pompée fit prisonnier Aristobule, marcha sur Jérusalem. Les partisans d’Hyrkan lui ouvrirent les portes. Par contre, retranchés dans le Temple, les fidèles d’Aristobule résistèrent au siège durant trois mois. Un jour de fête, d’après Josèphe, le prestigieux Romain pénétra jusqu’au coeur du sanctuaire avec son État Major [AJ 14, 72]. C’était la fin du royaume asmonéen.” (A. Lemaire, op. cit. p. 41)
Nous sommes en 63. Comme l’écrivait J. de FRAÎNE :
“Le succès des Maccabées s’expliquent un peu par l’attitude du peuple romain… Quand les Romains n’étaient pas réduits à l’impuissance par des crises internes, ils mirent leurs forces diplomatiques et militaires du côté des Juifs contre les Séleucides….En 65, Pompée réussit sans coup férir à déposer le dernier roi séleucide. La liquidation de l’empire séleucide enlevait à la nation juive toute raison d’exister : la dynastie des Maccabées sombra en même temps qu’elle.” (J. de Fraine, Atlas de la Bible, p. 258)
4) la période romaine (de -63 à + 135)
En 63, Pompée rattache la Judée à la province de Syrie, mais laisse à Hyrkan II une part d’autorité sur la Judée, la Pérée et la Galilée.
Comme les troubles continuent dans le pays, en 40, le Sénat romain nomme Hérode, le fils d’Antipater, roi avec la charge de conquérir son royaume. Ce qu’il fit et il régna effectivement de 37 à 4 avant l’ère chrétienne.
Ainsi Jésus, né sous Hérode (entre 7 et 5 avant l’ère chrétienne) se trouve dans un monde politiquement soumis à Rome et “pacifié” (la pax romana : circulation sur terre et sur mer). Mais ce monde était très marqué par la culture grecque (le grec est alors parlé sur une bonne partie du pourtour de la Méditerranée où se trouvent aussi des communautés juives de la Diaspora, représentant un judaïsme plus ouvert).
Et surtout, Jésus naît au terme de toute cette longue histoire du peuple d’Israël .
Quelques dates pour le Nouveau Testament
entre 7 et 5 : naissance de Jésus (sous Hérode)
vers 27-28 : début de la vie publique (cf. Lc 3,1 +)
Pâque 30 : mort de Jésus sous Ponce Pilate (Pilate : 26-36)
entre 50-52 : Paul évangélise Corinthe; comparution devant Gallion
vers la fin de son séjour, (Gallion : 51-52)
juillet 64 : incendie de Rome; responsabilité jetée sur les chrétiens,
d’où les persécutions
66-70 : soulèvement en Palestine; Guerre juive , siège de Jérusalem.
prise de la ville par Titus; destruction du Temple. La Judée
devient province impériale
132-135 : Deuxième Guerre juive
135 : Jérusalem devient Aelia Capitolina, ville interdite aux Juifs;
La Judée fait partie de la colonie romaine de Syrie-Palestine
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