LIRE L’ANCIEN TESTAMENT POURQUOI ET COMMENT ?

« La Bible est un livre protestant »: cette remarque, le Père Jacques Loew se souvenait de 1’avoir entendu très souvent au Brésil, alors qu’il y travaillait avec les équipiers de la MOPP, pendant les années 64-69.
Sous une forme atténuée et peut-être moins fréquemment, on aurait sans doute pu entendre de telles remarques dans nos pays : « Est-il permis de lire la Bible ? Est-ce que l’Eglise n’a pas défendu de lire la Bible ?
Je me souviens encore d’un prêtre, professeur de théologie et qui aimait bien la Bible, et qui pourtant disait qu’il ne recommanderait pas à un laïc de lire 1’Ancien Testament.
Heureusement les choses ont bien changé : depuis un certain nombre d’années, bien des chrétiens ont peu à peu retrouvé le goût de la Parole de Dieu. Cette Parole, proclamée désormais dans leur langue, entendue dans les différentes célébrations, lue et meditée en petits groupes ou en privé, est devenue pour beaucoup une nourriture de vie. Pourtant, certains hésitent toujours face à l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament, oui ! Mais faut-il vraiment chercher quelque chose dans l’Ancien Testament ?

Les difficultés de l’Ancien Testament ou la tentation de choisir l’Evangile

L’Ancien Testament est bien loin de nous. Dejà pour rejoindre le Nouveau Testament, il nous faire un saut de 20 siecles, rencontrer un culture bien différente de la nötre. Alors que dire de l’Ancien Testament ! Et puis, qu’en savons-nous vraiment ? Des publications récentes ont remis en question des données que 1’on croyaient pouvoir considérer comme stables (concernant la formation du Pentateuque, la mise par écrit des plus anciennes traditions, 1’historicité des personnages et des faits concernant les Patriarches, et tout récemment, même ce qui touchait David et Salomon…).

Les Evangiles paraissent à beaucoup de chrétiens plus proches et plus connus, plus compréhensibles aussi, au moins d’une maniere génerale.

D’autre part, la lecture de 1’Ancien Testament a parfois troublé et déçu des chrétiens qui s’y étaient risqués. Pleins de zèle à la suite d’une retraite ou d’une lecture où ils avaient soudain pris conscience de la richesse que pouvait contenir ce livre, ils avaient acheté une Bible et s’étaient mis courageusement à la lecture. Après les chapitres de la Genèse, où ils retrouvaient des souvenirs familiers de leur enfance (de leur catéchisme ou de leur Histoire sainte …), ils étaient peut-être déjà heurtés par le visage du Dieu de l’Exode, par ses allures guerrières et partisanes. Peu nombreux sont ceux qui sont arrivés jusqu’au Lévitique : là, les règles subtiles des sacrifices, les catégories d’animaux purs et impurs, les multiples règles de pureté, mêlées de tabous, ont souvent decouragé ceux qui avaient persévéré dans la lecture.
A regret peut-être, de n’avoir pas su trouver dans la Bible une richesse qu’elle devait pourtant contenir, ils ont alors refermé le Livre et l’ont soigneusement rangé dans leur bibliothèque.

C’est pourquoi, à partir de cette expérience négative ou même sans elle, d’autres se sont demandé s’il était bien utile et nécessaire pour des chrétiens de lire encore 1’Ancien Testament. Cette question, nous la trouvons dès le début de 1’Eglise chrétienne : l’Ancien Testament n’est-il pas le livre des Juifs, de ceux qui ont refusé de reconnaître, en Jésus, le Messie envoyé par Dieu ? L’Ancien Testament était, sans doute, une préparation importante, mais désormais rendue caduque par la venue de Jésus. Quelques textes du Nouveau Testament pourraient même nous conduire à une telle conclusion. La Loi, l’Ancien Testament, écrit saint Paul, étaient le temps de la préparation (cf. Ga 3, 23-26), mais désormais, avec le Christ, la plénitude des temps (cf. Ga 4, 6) est arrivée.

D’une manière plus nette encore, la Lettre aux Hébreux parle clairement de l’Ancienne Alliance comme d’une chose dépassée (cf He 6 – 8) : « Si cette première alliance avait été sans reproche, il ne serait pas question de la remplacer par une deuxième … » et 1’auteur cite le texte célèbre de Jr 31, 31 – 34 et il conclut : « En parlant d’une alliance nouvelle, il a rendu ancienne la première; or ce qui est ancien et qui vieillit est près de disparaitre. » (He 8, 7. 13)
Comme on le voit, le problème de l’Ancien Testament et de son rapport avec le Nouveau n’est pas d’aujourd’hui; il s’est posé dès les premiers siècles, et d’une double manière : valorisation excessive de l’Ancien Testament ou rejet total. (sur cette question, voir P. GRELOT, Le Sens chrétien de l’Ancien Testament, Desclée, p. 28ss.)

Valorisation excessive de 1’Ancien Testament

Pour certains Juifs, et à un moindre degré pour des chrétiens judaisants devenus disciples de Jésus, l’Ancien Testament conservait toute sa valeur et il ne pouvait être question pour eux de 1’abandonner. Bien plus, ils pensaient qu’il fallait l’imposer totalement à tous les croyants, que c’était une condition indispensable pour devenir disciples de Jésus. C’est contre cette valorisation excessive de l’Ancien Testament que Paul dejà se battait et qu’il revendiquait la liberté chrétienne face à la Loi (spécialement dans la Lettre aux Galates). Au deuxieme siècle, dans son Dialogue avec Tryphon, saint Justin (entre 150 et 161), reconnaît « la valeur exacte des préceptes de l’ancienne alliance » mais il affirme qu’ils ne concernent plus les chrétiens sinon comme des éléments figuratifs de la nouvelle alliance; ils ont eté « imposés aux seuls Juifs en vue de leur éducation religieuse et morale(P. GRELOT, op. cit. p. 31-32.).
Cependant comme le fait remarquer P. Grelot, « il s’agit d’une controverse mineure : le danger de trop valoriser l’Ancien Testament n’était guère menaçant à 1’intérieur d’une Eglise dont le recrutement se faisait essentiellement dans les milieux païens. » (id. p. 32-33)

Dévalorisation de l’Ancien Testament

Mais d’autres prenaient une position diamétralement opposée : pour eux, il fallait rejeter l’Ancien Testament. A la base de ce rejet, on trouve souvent une vision dualiste du monde. A 1’origine, il y aurait deux principes, le Dieu bon et le Dieu mauvais. Le Dieu bon, c’est celui que Jésus est venu nous révéler; le Dieu mauvais, c’était celui de l’Ancien Testament, le créateur de la matière, le législateur d’Israël, un Dieu sévère, un Dieu qui punit. Il fallait donc rompre totalement avec l’Ancien Testament. Telle était, au deuxième siècle, en résumé, la position de Marcion. Pour établir sa thèse, Marcion s’appuyait sur 1’Evangile selon saint Luc et sur une dizaine de Lettres de Paul, en éliminant soigneusement de ces textes tout ce qui ne s’accordait pas avec son système.

Parmi ceux qui se sont opposés à Marcion, on peut citer saint Irénée qui « a magnifiquement développé 1’unité du projet de Dieu : il n’y a qu’un seul Dieu, auteur des deux Testaments, un seul Dieu qui est à la fois Créateur et Père. L’unique dessein de salut interdit tout dualisme : c’est le même Dieu qui se révèle dans les deux Testaments. » ( G. COMEAU, Juifs et Chrétiens, le Nouveau Dialogue, Ed. de 1’Atelier, p. 39. L’auteur ajoute : Pourtant au long de l’histoire de 1’Eglise catholique, il y a sans doute eu un oubli pratique de 1’Ancien Testament, jusqu’à la moitié du XXème siècle. La situation est différente dans les Eglises de la Réforme, pour lesquelles la lecture de la Bible, c’est-à-dire des deux Testaments, est la base de la vie croyante.)

L’Ancien et le Nouveau Testament

D’une manière générale, la réaction de 1’Eglise fut sans ambiguïté – et elle est demeurée constante au cours des siècles face à d’autres tentatives du même ordre -. D’une part, elle a refusé avec force toute mutilation du Nouveau Testament comme elle a refusé d’abandonner 1’Ancien Testament; mais d’autre part, elle s’est refusé à imposer à tous les croyants toutes les lois et toutes les institutions de 1’Ancien Testament : quelque chose de nouveau et de définitif est bien arrivé avec Jésus.

Cette évocation rapide du problème, tel qu’il s’est posé dans les premiers siècles, nous invite à réfléchir davantage sur les motifs qui ont guidé 1’attitude de 1’Eglise face à 1’Ancien Testament et à mieux comprendre la position actuelle qui est indiquée par les textes de Vatican II et dans les documents qui ont suivi.

Cette position de 1’Eglise se trouve spécialement exposée dans le chapitre IV de la Constitution sur la Parole de Dieu, qui traite de 1’Ancien Testament (no. 14-16) ainsi que dans le Chapitre VI, intitulé : La Sainte Ecriture dans la vie de 1’Eglise, qui parle toujours des « Ecritures », sans faire de distinction entre l’Ancien et le Nouveau Testament. (La seule exception à cette « règle » se trouve au no. 25 qui demande aux évêques d’aider les fidèles  » à faire un usage correct des livres divins, surtout du Nouveau Testament et en premier lieu des Evangiles, grâce à des traductions des textes sacrés …. »)

Comme le dit le texte conciliaire : « Dieu, qui a inspiré les livres de l’un et l’autre Testaments et qui en est l’auteur, a voulu dans sa sagesse, que le Nouveau se trouvât caché dans l’Ancien, et que les obscurités de l’Ancien fussent dévoilées dans le Nouveau. Car encore le Christ ait fondé dans son sang une nouvelle Alliance, néanmoins les livres de l’Ancien Testament, intégralement repris dans le message évangélique, atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament, auquel à leur tour, ils apportent illustration et explication. » (D. V. no. 16) (Le Concile fait ici référence à saint Augustin : « quamquam et in Vetere Novum lateat, et in Novo Vetus pateat » (P. L. 34, 623).)

L’Ancien Testament fait donc partie du trésor de 1’Eglise; il a preparé – et il prépare encore – la voie à 1’Evangile. II doit conduire au Christ et il trouve dans le Christ sa pleine signification. Mais c’est à partir de Jésus, de sa parole, qu’il doit être lu.

Ce qui a été à 1’origine de ces déclarations des Pères du Concile – et de la réforme liturgique qui a suivi, – c’est, d’une part, la prise de conscience renouvelée de 1’importance des Ecritures pour la compréhension du mystère du Christ ( Cf. le texte de la Commision Biblique Pontificale : Le Peuple juif et les saintes Ecritures dans la lecture chrétienne, qui écrit au no. 84 : « Sans l’Ancien Testament, le Nouveau Testament serait un livre indéchiffrable, une plante privée de ses racines et destinée à se déssécher. »)
et, d’autre part, la conviction que l’Ancien Testament prend une plénitude sens dès lors qu’il est lu à la lumière du Christ. (Dans le même document, voir spécialement les nos 64-65.) Attardons-nous un peu sur ce deux points.

Importance de 1’Ancien Testament pour le mystère du Christ.
L’Ancien Testament, disait un enfant au catéchisme, c’est la vie de Jésus avant sa naissance. Définition enfantine, et pourtant pleine de vérité. Jésus est un Juif. Comment le connaître, comment comprendre son message, sa manière d’être et d’agir, sans le relier à ce milieu dans lequel il est né et dans lequel il a vécu. Ce n’est pas un hasard si 1’Evangile selon saint Matthieu – et ainsi le Nouveau Testament – commence par une longue généalogie qui insère Jésus dans le peuple d’Israel : »Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham ... »
En effet, Jésus appartient à ce peuple nourri de l’Ancien Testament; sa religion est celle des Prophètes et des Psalmistes. Bien sûr, Jésus apporte du neuf : la nouveauté de sa personne, mais sans l’Ancien Testament, Jésus reste incompréhensible : « Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ, » écrivait saint Jérôme.

La prédication de Jésus accomplit la Loi et les Prophètes. Mais précisement, si elle les accomplit, elle en est inséparable. « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir« , dira Jésus (cf. Mt 5, 17).

« L’Ancien Testament est indispensable à la foi chretienne ; non seulement, il est en lui-même Parole de Dieu, mais encore sans lui, le Nouveau Testament perd sa substance. » (G. COMEAU, op. cit. p. 40.)

Quand des chrétiens pensent pouvoir comprendre le Nouveau Testament sans l’Ancien, ils se font illusion. Pour prendre une comparaison, vouloir lire le Nouveau Testament sans l’Ancien, c’est se mettre dans la situation de quelqu’un qui arriverait au terme d’une longue conversation dont il n’entendrait que les dernieres paroles. Comment pourrait-il comprendre le sens de ces mots et les allusions qu’ils contiennent pour ceux qui ont pu participer à tout 1’échange ?

De même, comment pourrions-nous saisir ce que Jésus veut dire quand il annonce une alliance nouvelle, si nous ignorons tout des textes sur 1’alliance ancienne (par ex. Ex 19 et 24), si nous ne connaissons rien de 1’histoire troublée de Dieu avec son peuple, telle que la Bible nous la présente en Nb, Jg, en Os et Ez, si nous n’avons jamais entendu parler de la promesse de Jérémie annonçant 1’alliance nouvelle et définitive que Dieu ferait un jour avec son peuple (cf. Jr 31, 31 – 34) ?
Quel sens donner à la parabole du fils perdu que le père accueille dans sa miséricorde, si on la sépare de toute cette longue attente de Dieu à 1’égard de 1’homme pécheur, qui fait la trame de tout 1’Ancien Testament ? (Voir la Proposition no. 10 du Synode des Evêques sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise (oct. 2008) : l’Ancien Testament dans la Bible chrétienne : „la connaissance de l’Ancien Testament est indispensable à qui croit dans l’Evangile de Jésus Christ, parce que selon saint Augustin, le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien est présent dans le Nouveau.“)
Mais c’est surtout le mystère pascal qui nous resterait totalement incompréhensible et fermé sans 1’éclairage des textes de l’Ancien Testament. Souvenons-nous de cette merveilleuse page de saint Luc : le chemin d’Emmaüs. Deux disciples tournent le dos à Jerusalem et à la déception qu’ils viennent d’y vivre. Ces deux hommes connaissent pourtant tout ce qui fait la « matière » de la foi chrétienne : Jésus de Nazareth, sa vie, ses oeuvres, sa mort; ils ont même entendu parler de 1’annonce de sa Résurrection. Et pourtant ils s’en vont, l’air sombre, sans espérance. Que leur manque-t-il donc ? Jésus les rejoint sur le chemin. Il écoute leurs doléances, puis il les invite à relire avec lui 1’Ancien Testament : » et partant de Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait ». Et comme ils le diront eux-mêmes plus tard, c’est alors, à la lumière des Ecritures, que leur ‘cœur’ s’est réchauffé et que le dessein de Dieu, realisé en Jésus, s’est pour eux éclairé.

Ici encore une comparaison peut nous aider : supposons que je veuille regarder le soleil en plein midi, un jour étincelant. Que va-t-il arriver ? L’éclat de l’astre sera bien évidemment beaucoup trop fort pour mes yeux. Non seulement je ne verrai pas la lumière du soleil, mais j’en serai ébloui et même aveuglé. Il existe pourtant un moyen pour moi de contempler, de mes yeux, cette lumière étincelante : c’est de la regarder à travers un prisme. Alors, non seulement je ne serai plus aveuglé, mais je pourrai découvrir toute la richesse de couleurs contenue dans cette luminosité, tout le jeu de l’arc-en-ciel qui compose cette clarté. Ce que le prisme est pour la lumière du soleil, les Ecritures, l’Ancien Testament, le sont pour le mystère du Christ. En Jésus, la révélation de Dieu a une telle densité, un telle intensité, qu’elle en devient aveuglante pour nos pauvres yeux d’hommes, pour notre intelligence. Dans le prisme des Ecritures, cette même richesse nous est donnée d’une manière appropriée et progressive.

L’Ancien Testament relu à la lumière du Christ

« Les apôtres ont été renvoyés à leur Bible par la Résurrection de Jésus  » écrivait Mgr. Ramsay De fait, les auteurs du Nouveau Testament nous montrent les apôtres, à 1’exemple de Jésus, en train de relire les Ecritures, c’est-à-dire pour eux, de relire ce que nous appelons 1’Ancien Testament.

Il s’agit bien pour eux d’une relecture : non seulement au sens où ils lisaient de nouveau des textes de leur Bible juive, mais au sens où ils les lisaient maintenant sous un éclairage nouveau. Désormais ils lisent ces textes à partir des événements qui en révèlent la signification. C’est encore saint Luc qui, dans les Actes des Apôtres, nous montre comment fonctionne cette relecture. Vous connaissez 1’épisode de 1’eunuque éthiopien qui s’en retourne chez lui par la route qui descend de Jérusalem à Gaza. Assis sur son char, il lit un texte du livre d’Isaïe. Philippe le rejoint et lui demande : « Comprends-tu ce que tu lis ? » Et la réponse de 1’eunuque : « Et comment le pourrais-je, si je n’ai pas de guide … De qui parle le prophète, de lui-même ou d’un autre ? » Philippe alors, nous disent les Actes, partant de ce texte, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. » A la lumière de Jésus, de sa vie, de sa mort et résurrection, ce texte des Ecritures (Is 52-53) prenait tout son sens ou mieux, il recevait une plénitude sens insoupçonnée jusque-là.

Un accomplissement

Il y trouvait son accomplissement : »cela arriva pour que s’accomplisse ce qui avait été écrit de lui dans les Prophètes. » Cette formule, nous la rencontrons une douzaine de fois dans 1’Evangile selon saint Matthieu. Mais il faut bien la comprendre. L’Evangéliste n’entend pas dire que les prophètes avaient vu par avance les différents épisodes de la vie de Jésus ni que celui-ci cherchait à réaliser « à la lettre » ce qui se trouvait écrit par avance pour lui dans les textes de 1’Ancien Testament. Comme 1’exprime C. TASSIN : « Par les « citations d’accomplissement », 1’évangéliste confirme la nécessité du rapport entre Jésus et l’Ancien Testament, mais il invite à renverser ce rapport : ce n’est pas la Bible qui dit ce que doit être le Christ; c’est la foi en Jésus Christ qui dit comment lire la Bible. Jésus « accomplit », donne un sens plein, inattendu, aux prophéties bibliques.
Celui qui croit en Jésus, croit aussi, que dans l’Ancien Testament, Dieu ne parle que du Christ à venir. Ouvre-t-il la Bible pour y lire les premiers mots de Dieu : « Que la lumiere soit », c’est déjà le visage du Christ qu’il devine dans cette parole. » (C. TASSIN, L’Evangile de Matthieu, Centurion, p. 20 )

Il suffit de lire attentivement le Nouveau Testament pour se rendre compte de tout le travail de relecture réalisé par les premiers chrétiens. Saint Paul ira jusqu’à écrire que « tout ce qui leur arrivait [jadis aux Pères], arrivait pour servir d’exemples et a été écrit pour notre instruction » (cf. 1 Co 10, 11; Rm 15, 4). Et pourtant Paul adressait ses lettres à des communautés composées en majorité de chrétiens venus du paganisme.

Cette conviction qui est à la base de la démarche de Paul et des autres auteurs du Nouveau Testament, c’est celle qu’expriment les premiers versets de la Lettre aux Hébreux : 1’unité de la Parole de Dieu, l’unité de 1’Ancien et du Nouveau Testament, une unité voulue expressèment par Dieu : « Dieu qui a parlé à bien des reprises et de bien des manières autrefois aux Pères, nous parlé maintenant en un Fils qu’il a établi héritier de tout … » (He 1, 1-2).

Dans les siècles qui ont suivi, ce même travail sur 1’Ancien Testament s’est continué – alors même que 1’Eglise était très majoritairement 1’Eglise des païens – comme en témoignent les innombrables commentaires patristiques, qui pour la plupart sont des recueils d’homélies, sur Gn, Ex, Is, Ez, Ps, et d’autres livres de l’Ancien Testament

Un autre témoignage indirect, mais très réel de la place des Ecritures dans l’Eglise nous est donné quand nous visitons des églises anciennes. Nous sommes émerveillés – et parfois même déroutés – par la richesse biblique des peintures et des vitraux, par les sculptures des chapiteaux. Les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament se répondent et témoignent d’une catéchèse familière de l’histoire du salut. L’Ecriture – pour beaucoup, sans doute, davantage racontée que lue – était alors une nourriture; elle était encore cette Table de la Parole que Dieu a préparée pour son peuple, comme il lui a préparé celle de l’Eucharistie.

Pascal avait bien raison de souligner 1’unité du dessein de Dieu et la place centrale de Jésus, quand il écrivait : « Jésus que les deux Testaments regardent, l’Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle; tous les deux comme leur centre. » ( PASCAL, Pensées, no 488)

Tout ceci nous aide à comprendre 1’effort fait aujourd’hui par la liturgie, dans le sillage de Vatican II, pour redonner au peuple chrétien le goût des Ecritures, pour l’inviter à la Table de la Parole. Une table, longtemps délaissée pour des raisons historiques – pour faire court, je dirai, à cause du latin qui s’est maintenu dans la liturgie alors qu’il avait cessé d’être compris par la plus grande partie des croyants -. Evidemment le seul fait de proclamer, ou d’entendre proclamer, aujourd’hui ces textes dans notre langue ne nous assure pas ipso facto la familiarité avec la Bible. Mais on peut espérer que les chrétiens retrouvent ainsi peu à peu le goût de cette Parole et spécialement le goût de l’Ancien Testament. (Dans les Propositions transmises au Pape à la fin du Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise (oct. 2008), les Evêques relèvent les difficultés de beaucoup de croyants face à l’AT et demandent qu’on les aide par une préparation adéquate car, disent-ils, il ne faut pas négliger „la lecture de l’Ancien Testament qui, malgré quelques difficultés, est essentiel à la compréhension de l’histoire du salut“ (Proposition no. 29). Voir aussi la Proposition no. 10.)

Car à travers ces textes, c’est la longue histoire de Dieu avec les hommes, avec nous, qui nous est révélée. Jésus cesse alors d’être une figure, admirable certes, mais qui traverse notre histoire comme une étoile filante dans un ciel d’août. Nous comprenons mieux, grâce à l’Ancien Testament, comment Jésus est 1’aboutissement d’une fidélité sans faille de Dieu et la réponse à 1’attente des hommes. Et cette histoire continue : c’est la nôtre, celle de tout croyant : »on se sent appartenir à un peuple,  » disait quelqu’un lors du bilan d’un groupe de partage de la Parole.

Comme le dit la Constitution sur la Parole de Dieu de Vatican II : »ces Livres [de l’Ancien Testament], bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduque, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine, […] en eux se tient caché le mystère de notre salut. » (D.V. 15)

J’ai fait mention, au début de ce texte, des difficultés nouvelles concernant 1’Ancien Testament et 1’historicité de certains événements qui y sont racontés. Mais si les recherches récentes ont posé de nouveaux problèmes au sujet de 1’Ancien Testament, elles ont également mis en lumière l’importance de 1’Ancien Testament comme récit : c’est là une particularité de la tradition judéo-chrétienne. Comme le dit D. Marguerat : « Si les juifs et les chrétiens racontent des histoires, c’est parce qu’ils croient en un Dieu qui se révèle dans l’histoire. Raconter des histoires, c’est faire mémoire de ce qui est advenu dans l’histoire. Le récit est le témoin obligé d’un Dieu qui se donne à connaître dans l’épaisseur d’une histoire d’hommes et de femmes, une histoire vécue. Voilà pourquoi le salut se dira dans une histoire : le récit est le véhicule privilégié de l’incarnation. » (D. MARGUERAT, Quand la Bible se raconte, Lire la Bible 134, Cerf, p. 19-20. 8)

En lisant 1’Ancien Testament, en racontant ce que la Bible nous dit d’Abraham, de Moïse, des prophètes, nous refaisons la longue marche qui nous conduit jusqu’à Jésus. En écoutant raconter ces récits de 1’Ancien Testament, c’est déjà le visage de Jésus qui s’esquisse, et à travers lui, la présence de ce Dieu qui s’est manifesté dans notre histoire et qui continue de le faire, puisqu’il veut être pour nous 1’Emmanu-El, c’est-à-dire Dieu-avec-nous.

Je terminerai en citant encore une fois le texte de la Commission Biblique Pontificale (2001) sur le Peuple juif et les saintes Ecritures dans la Bible chrétienne : « C’est surtout en étudiant les grands thèmes de l’Ancien Testament et leur continuation dans le Nouveau qu’on se rend compte de l’impressionnante symbiose qui unit les deux parties de la Bible chrétienne et, en même temps de la surprenante vigueur des liens spirituels qui unissent le l’Eglise du Christ au peuple juif. Dans l’un et l’autre Testament, c’est le même Dieu qui entre en relation avec les hommes et les invite à vivre en communion avec lui ; Dieu unique et source d’unité ; Dieu créateur qui continue à pourvoir aux besoins de ses créatures, surtout ce celles qui sont intelligentes et libres, appelées à reconnaître la vérité et à aimer ; Dieu libérateur et surtout sauveur, car les êtres humains créés à son image sont tombés par leurs fautes dans un esclavage méprisable.
Etant un projet de relations interpersonnelles, le dessein de Dieu se réalise dans l’histoire. On ne peut pas le découvrir à l’aide de déductions philosophiques concernant l’être humain en général. Il se révèle par des initiatives imprévisibles et, en particulier, par un appel adressé à une personne choisie entre toutes dans la multitude humaine, Abraham (Gn 12,3), et par la prise en main du sort de cette personne et de sa postérité, qui devient un p euple, le peuple d’Israël (Ex 3, 10). Thème central dans l’Ancien Testament (Dt 7, 6-8), l’élection d’Israël reste fondamentale dans le Nouveau. (Le peupe juif et les saintes Ecritures dans l’Eglise chrétienne, au no. 85.)